ENTRETIENS
structures guidantes . Puis nous trouvons une méthode numérique stable pour analyser la propagation et la diffusion des modes de Bloch des guides périodiques , ce qui nous donne un point d ’ entrée complètement original dans les cristaux photoniques . Et encore un peu après , à partir de 2010 avec Christophe Sauvan , nous développons des méthodes modales pour analyser les résonateurs électromagnétiques dans la base de leur résonance propre .
COMMENT VOUS-ÊTES- VOUS IMPLIQUÉ DANS LA PLASMONIQUE , EN PARTICULIER DANS LA TRANSMISSION EXTRAORDINAIRE ? Je me lance dans la plasmonique par accident grâce à un ami Roumain qui me signale un article de la revue Nature en 1998 et m ’ invite à étudier le sujet : « Philippe , avec tes codes RCWA … ». Dans cet article , Thomas Ebbesen , Henri Lézec et leurs collègues alors à Princeton mesurent la lumière qui passe à travers un réseau de tout petits trous dans un film métallique et soulèvent un problème crucial , celui du confinement de la lumière dans de petits volumes . Rapidement une polémique nait sur l ’ interprétation qui attribuait un rôle singulier aux plasmons . Le travail théorique que nous menons durant toutes les années 2000 avait un objectif simple : comprendre le rôle des plasmons . Avec les codes RCWA , nous reproduisons le phénomène de transmission , mais pour autant , nous n ’ arrivons pas à comprendre . Même constat avec nos premiers modèles approchés . Nous avons alors développé un modèle microscopique de la transmission extraordinaire qui prend en compte les plasmons explicitement . Ce modèle révèle que les plasmons ne jouent qu ' un rôle partiel dans le domaine du visible et sont quasiment absents dans l ’ infrarouge et au-delà .
QUEL REGARD PORTEZ-VOUS AUJOURD ’ HUI SUR CETTE PÉRIODE DE VOTRE PARCOURS ? Sincèrement , cela a été la plus période la plus exaltante professionnellement , avec de nombreuses collaborations enrichissantes sur les cristaux photoniques ( tapers , lumière lente , cavités ). Les travaux de compréhension sur le confinement dans les cavités photoniques et la transmission extraordinaire m ’ ont passionné , car malgré de nombreux détours , ils étaient motivés par une question « simple ». Ils étaient aussi très compétitifs ; les travaux du domaine étaient souvent critiqués avec vigueur et il fallait se battre pour faire valoir son point de vue . Et puis j ’ ai eu la chance de travailler quotidiennement pendant 10 ans avec Jean-Paul . Nos journées commençaient ensemble par un café et de longues discussions qui bien souvent commençaient avant le lever du jour dans un labo presque désert . Nous nous autonourrissions d ’ intuitions bien différentes mais complémentaires , mais partagions un même objectif : comprendre et expliquer simplement avec des codes précis .
VOTRE INSTALLATION À L ’ IOGS À BORDEAUX SEMBLE MARQUER UN TOURNANT . En effet , en 2010 se crée une antenne de l ’ Institut d ’ Optique à Bordeaux . Je suis l ’ un des quatre seniors qui participent alors à la mise en place du LP2N sous la houlette de Philippe Bouyer . J ’ ai la chance d ’ arriver à Bordeaux lors des grandes réunions préparatoires à la création des LABEX . Cela m ’ a permis de rapidement percevoir les activités du site , et notamment l ’ ampleur de la recherche menée sur les nanomatériaux synthétisés par voie chimique . J ’ ai alors cessé mes collaborations sur les cristaux photoniques en optique intégrée pour réorienter mes travaux sur des collaborations locales . L ’ installation n ’ a pas été simple mais elle fut très stimulante : un esprit d ’ aventure a certainement soufflé alors , principalement parce que nous arrivions alors sans collaborateurs , dans un labo sans mur . Nous avons dû nous serrer les coudes et sortir de notre zone de confort pour définir des projets communs . C ’ est ainsi qu ’ est née l ’ idée de contrôler l ’ apparence avec des métasurfaces désordonnées en associant des compétences en infographie ( Xavier Granier ) et en nanophotonique des métasurfaces . C ’ est cet esprit de décloisonnement que je retrouve depuis 2019 lors de mes séjours annuels dans le groupe de Mark Brongersma à Stanford .
VOS RECHERCHES ACTUELLES SONT PLEINEMENT TOURNÉES VERS LES EFFETS VISUELS DES MÉTASURFACES . COMMENT S ’ EST MIS EN PLACE LE PROJET ? Le projet a bénéficié du soutien constant de Philippe Bouyer , qui a notamment contribué à obtenir des financements CPER pour sa partie expérimentale . Il a été impulsé par Kevin Vynck dès son arrivée au LP2N en 2014 . Aujourd ’ hui , notre objectif est d ’ explorer les effets visuels innovants que l ’ on peut générer avec les métasurfaces . Le projet englobe plusieurs volets nécessitant des compétences variées : milieux désordonnés , nanomatériaux , nanophotonique , modélisation multi-échelle et rendu visuel . Nous avons récemment recruté un doctorant titulaire d ’ un master en infographie . De nombreuses questions émergent à l ’ intersection des nanotechnologies et d ’ attributs tels que couleur , brillance ou encore transparence . À terme , j ’ aimerais que nous puissions également explorer des effets visuels originaux dotés d ’ une forte dimension artistique .
QU ’ APPRÉCIEZ-VOUS LE PLUS DANS LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE ? J ’ apprécie la grande liberté qui nous est donnée , notamment celle de choisir notre thématique , avec des approches tantôt théoriques tantôt expérimentales . C ’ est aussi une chance d ’ avoir un métier qui consiste à comprendre , surtout quand ce sont des choses incomprises , et de partager ces connaissances nouvelles avec des gens passionnés , au quotidien avec les collègues proches , étudiants , postdocs et visiteurs . J ’ espère qu ’ ils se reconnaitront et je les remercie .
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