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ENTRETIENS comme des matériaux artificiels ( homogénéisation ). À Rochester , j ’ ai fabriqué ces matériaux pour le traitement antireflet des cellules solaires , avec des gradients d ’ indice perpendiculaires aux substrats . Parallèlement , j ’ ai commencé à me familiariser avec l ’ optique électromagnétique , notamment les travaux de l ’ école marseillaise sur la diffraction par les réseaux . En travaillant sur l ’ homogénéisation , j ’ ai la chance de comprendre comment améliorer la convergence de la méthode RCWA ( c ’ est la méthode la plus utilisée encore aujourd ’ hui pour analyser la diffraction par des réseaux ). Ce séjour , bien que limité à un an , a été intense et productif ; j ’ ai beaucoup travaillé , très souvent « seul », aidé par mon épouse parfois , et j ’ ai beaucoup appris . Le séjour a marqué un virage dans ma carrière . À partir de là , ma recherche s ’ est orientée vers l ’ élaboration de modèles théoriques basés sur les modes pour comprendre et modéliser les nanostructures optiques .
COMMENT PARVENEZ-VOUS À LANCER UNE DYNAMIQUE AUTOUR DE CES THÈMES À VOTRE RETOUR AU LABORATOIRE ? A mon retour , j ’ ai la chance de commencer à collaborer avec Jean-Paul Hugonin , un enseignant chercheur de mon groupe qui avait une formation initiale en mathématiques et une thèse sous la direction de Roger Petit à Marseille . Je ne savais pas encore que cette collaboration allait s ’ intensifier pendant près de 20 ans pour durer encore aujourd ’ hui malgré l ’ éloignement géographique . Après des premiers travaux sur l ’ homogénéisation , j ’ ai commencé à étudier les optiques diffractives utilisant des gradients d ’ indice parallèles aux substrats ( appelées aujourd ’ hui métasurfaces ) avec mes codes RCWA à l ’ état de l ’ art . Avec la bienveillance de Pierre , est organisée une réunion au L2M à Bagneux avec Edmond Cambril et Huguette Launois afin de fabriquer ces composants . Je défends le projet maladroitement car hormis que le sujet est tentant , je n ’ ai pas d ’ arguments scientifiques forts . A la fin de la réunion , alors que j ’ entrevoyais une issue négative , Huguette Launois rend son verdict : « Bon Edmond , on va le faire ». Ce qu ’ Edmond réalise alors , très peu de laboratoires dans le monde en sont capables . Et quelques mois après , je caractérise des composants remarquables composés de nano-piliers gravés dans une couche de TiO 2 qui diffractent 90 % de la lumière transmise dans le bon ordre , même quand la lumière est déviée avec de grands angles . L ’ amélioration de la méthode RCWA à Rochester et ce résultat inattendu ont été très bien accueillis par l ’ ensemble de la communauté et m ’ ouvrent des portes , notamment auprès des industriels de la photonique . Le retour des industriels n ’ est pourtant pas à la hauteur de mes espoirs : les composants fabriqués par Edmond étaient des prouesses de laboratoire très onéreuses qui reposaient sur des nanogravures profondes . J ’ ai pris cette critique très à cœur , d ’ autant plus que Mike Morris n ’ avait pas voulu que je travaille avec lui sur ces composants , exactement pour cette raison . J ’ apprenais combien il est important que la recherche appliquée cible des sujets avec un réel potentiel commercial . Ce n ’ était pas si clair qu ’ aujourd ’ hui à l ’ époque en France . Avec un pincement , j ’ ai stoppé mes travaux dans le visible .
POUR AUTANT , VOUS AVEZ LARGEMENT COLLABORÉ AVEC LES INDUSTRIELS DANS VOTRE CARRIÈRE . Dès mon retour de Rochester , j ’ ai mené des études ponctuelles pour Photonetics , Corning Avon et le CEA « Mégajoule ». J ’ ai eu la chance que deux grands groupes français s ’ intéressent à mes travaux en optique diffractive . Grâce à Jean-Pierre Huignard , qui pressentait les opportunités offertes par les « métasurfaces » pour l ’ imagerie thermique , j ’ ai d ’ abord collaboré pendant dix ans avec Thalès sur des problématiques de traitements antireflets et de métalentilles à large bande . Par la suite , j ’ ai travaillé plus de 10 ans avec Saint-Gobain sur les optiques diffractives pour le vitrage . Aujourd ’ hui , je poursuis cette dynamique en collaborant avec STMicroelectronics .
PLUSIEURS DE VOS TRAVAUX ONT ÉTÉ VALORISÉS PAR DES LOGICIELS . C ’ est un sujet sensible pour nous . D ’ abord , nous avons mis longtemps à comprendre que cette valorisation est importante . Fin des années 90 , la communauté Française considérait un logiciel comme un bien précieux à garder jalousement . Nous avons donc commencé par vendre des licences de notre logiciel RCWA ( Reticolo ) à des industriels . Ce n ’ est que tardivement , en 2012 que nous l ’ avons rendu public quand un logiciel concurrent a été mis en accès libre par des chercheurs qui n ’ avaient en rien contribué au développement de la méthode . Notre logiciel n ’ a jamais fait l ’ objet d ’ une publication dans une revue . Quel amateurisme . Cela ne l ’ a pas empêché d ’ être largement diffusé et utilisé en particulier par de grands groupes français et étrangers . Par deux fois , certains autres outils que nous avions développés ont été incorporés dans de grands logiciels d ’ électromagnétisme ( COMSOL cette année ) avec des remerciements aussi légers que fugaces ( sourire ).
COMMENT ÉVOLUEZ-VOUS DES MÉTASURFACES À LA PLASMONIQUE ET AUX CRISTAUX PHOTONIQUES ? En 1999 , lors d ’ un workshop extraordinaire sur l ’ optique guidée organisé par Olivier Parriaux dans un château retiré non loin de Saint-Etienne , j ’ ai la chance de réaliser que les modes de Bloch des métasurfaces n ’ étaient pas bien loin d ’ être les modes guidés de nano-piliers . À partir de là , l ’ étude des cristaux photoniques en optique guidée s ’ ouvre à nous et les choses s ’ enchainent très rapidement . En 2000 , Jean-Paul et moi introduisons des modifications minimes dans nos codes RCWA pour implémenter des couches absorbantes , et disposons ainsi d ’ une méthode modale pour analyser des structures non périodiques , en particulier les
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