Entretien avec Philippe Lalanne
ENTRETIENS
Entretien avec Philippe Lalanne
directeur de recherche CNRS au LP2N à Bordeaux , lauréat du grand prix de la SFO 2024 Léon Brillouin .
COMMENT EST NÉ VOTRE INTÉRÊT POUR LES SCIENCES ? J ’ ai toujours aimé la logique sans faille des mathématiques . Mon intérêt pour la physique est né lors d ’ un cours de mathématiques en terminale au Lycée Montaigne de Bordeaux sur les coniques , illustré avec les lois de Kepler . J ’ ai été fasciné d ’ apprendre que des lois aussi simples puissent régir les trajectoires des planètes .
COMMENT DÉCOUVREZ-VOUS L ’ OPTIQUE ? Tardivement , l ’ optique en prépa ou L3 à Jussieu ne m ’ avait pas passionné . J ’ ai fait ensuite un DEA en physique des solides à Orsay . La discipline me plaisait beaucoup . Alors que je pensais poursuivre avec une thèse à Toulouse , pour des raisons personnelles , très tardivement , j ’ ai cherché une thèse en région parisienne ( j ’ étais très libre de choisir car ma première année de thèse se faisait pendant la 4ième année d ’ ENS ). J ’ avais rencontré Pierre Chavel l ’ année précédente lors de ses cours de préparation à l ’ agrégation . Je le trouvais rigoureux .
QUELLE ÉTAIT LA PROBLÉMATIQUE DE VOTRE THÈSE ? Dans les années 80 , les premiers ordinateurs grand public naissaient . Ils n ’ étaient guère puissants et se posait la question de réaliser des ordinateurs optiques plus puissants ( certains se souviendront du Club Optique pour l ’ Ordinateur abrité par la SFO ). Mes travaux de thèse s ’ inscrivaient dans cette problématique . Ils portaient sur la mise en œuvre de machines neuronales opto-électroniques . A priori un bon sujet , car les circuits intégrés planaires n ' étaient pas adaptés à la réalisation d ’ interconnexions massives . Le domaine était déjà en effervescence à l ’ époque ; je me rappelle un congrès à Paris en 1988 avec plus de 1000 participants venant de la biologie , l ’ électronique , la physique statistique , le traitement des images … et l ’ optique .
QUELLE A ÉTÉ VOTRE CONTRIBUTION ? Ma première réalisation mettait en œuvre un modèle de mémoire associative , dit de Hopfield ( un des deux lauréats du prix Nobel de physique 2024 ). Rapidement , nous réalisons que ce modèle repose essentiellement sur une corrélation entre l ’ image à classer et les images « mémorisées ». Les opticiens connaissent bien la corrélation , et ses limitations pour la reconnaissance de forme . Y avait-il vraiment du nouveau dans le modèle ? En seconde année de thèse , je suis scientifique du contingent avec une solde de soldat , et je travaille dans le groupe de Francis Devos à l ’ Institut d ’ Electronique Fondamentale ( IEF ) à Orsay sur la Machine de Boltzmann inventée peu de temps auparavant par Hinton , le second lauréat du Nobel 2024 . Par rapport au modèle de Hopfield , cette machine fait intervenir des couches cachées (« deep learning » aujourd ’ hui ) et contient plus de physique avec ses neurones stochastiques . Ma troisième année de thèse est financée par une bourse qui me conduit à effectuer un service de Maitre de Conférence à l ’ Université d ’ Orsay ; elle sera consacrée à la réalisation d ’ un système qui génère massivement des nombres aléatoires , grâce au speckle optique , pour alimenter les neurones stochastiques des circuits de l ’ IEF .
SUR QUEL SUJET DE RECHERCHE CONSACREZ-VOUS VOS PREMIÈRES ANNÉES DE RECHERCHE AU CNRS ? J ’ ai été recruté au CNRS en septembre 1989 et j ’ ai soutenu ma thèse un mois après . J ’ ai orienté mes travaux sur les machines de Boltzmann vers des modèles stochastiques pour le traitement d ’ image ( chaines de Markov ). Avec nos collègues de l ’ IEF et Jean-Claude Rodier qui travaillait alors dans le « labo d ’ électronique » de notre Institut , ma principale réalisation a été une machine optoélectronique composée d ’ un circuit CMOS analogique de 32 × 32 processeurs élémentaires identiques ( les neurones stochastiques ). Chaque processeur comportait des « photodiodes » qui permettaient de convertir le bruit de speckle en courants aléatoires . Eclairé par une image optique bruitée , le circuit était alors capable de la restaurer par recuit simulé ( problème similaire au modèle d ’ Ising ) à cadence vidéo . J ’ en fais la démonstration lors de mon Habilitation à Diriger les Recherches , peu après mon année sabbatique aux États-Unis .
QU ’ EST-CE QUI VOUS MOTIVE À ORGANISER CE SÉJOUR D ’ UN AN AUX USA ? Au début des années 90 , les progrès des ordinateurs électroniques étaient fulgurants , et pour rester compétitives , les architectures sur lesquelles nous travaillions intégraient de plus en plus d ’ électronique . L ’ optique semblait cantonnée à des niches . Sur les conseils de Pierre , qui pressentait l ’ émergence de l ’ optique diffractive , je suis parti en 1995 pour un an dans le groupe de Mike Morris à l ’ Université de Rochester afin de me former dans ce domaine .
SUR QUELS SUJETS TRAVAILLEZ- VOUS À ROCHESTER ? À l ’ époque , l ’ optique commençait à explorer le potentiel des nanotechnologies pour concevoir des composants avec des motifs plus petits que la longueur d ’ onde qui se comportaient
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