Paris et les Zola en herbe | Page 16

  16   De majestueux arbres élevaient leurs branches vers les innombrables cieux. Des bourgeons fanés se dressaient agressivement contre les tâches écarlates qui peuplaient les nuages. L'automne annonçait son arrivée. Les derniers rayons de soleil dépeignaient des ombres vacillantes sur les pavés et rappelaient la fin d'une vie, la fin d'une journée. Ainsi, les colosses feuillus tissaient un voile presque imperceptible entre l'amusement et la morosité des passants. Des feuilles rouges tapissaient le sol. Les pavés d'un gris monotone s'incorporaient discrètement à la fresque, tels des poussières, sans révéler leur nature puissante. Une librairie se recueillait dans l'angle, en toute simplicité. Elle attirait les plus curieux des rôdeurs. L'odeur des pages sèches et usagées régnait dans une atmosphère de savoir, ne s'échappant que lorsqu'une poussée de vent venait la frôler. La librairie s'épanouissait dans un silence tranquille. La nuit, d'un noir de jais, un haut lampadaire éclairait la place, comme l'unique source de vie parmi les ténèbres. Dès lors ce n'était que froid et ennui. Aucune âme ne peuplait l'espace tandis que les feuilles s'affolaient sous les mouvements tempétueux du vent. Les bars étaient déserts. Les serveurs essuyaient de leurs chiffons délabrés les dernières miettes éparpillées sur les tables. Les fenêtres semblaient des miroirs de l'âme reflétant toute la complexité et le vice de la nature humaine. Les bordures des fenêtres agissaient tel un immense cadre, illustrant un paysage parfait mais fissuré. Ainsi, ces lignes fermes qui régissaient l'interdit restaient à jamais intactes, personne n'osait les ouvrir, personne n'osait déranger l'insouciance des maisons face aux souffles terribles du soir, tandis que la corde du temps filait à une vitesse enragée. Des carrés de pierre, vaillants, semblaient protéger la place de tous soucis alentours, la laissant pour ignorante dans ses heures de la nuit profonde. Ils refermaient le lieu sur lui-même, comme pour l'enterrer dans sa propre naïveté, son propre aveuglement. La place était endormie, seule. La place était muette.