PALESTINE Mémoires de 1948 - Jérusalem 2018 | Page 93

« Absente » Umaïma Mohtadi al-Alami, 82 ans Mon père, ‘Abd al-Rahman al-Alami, était un homme très respecté à Jérusalem. Après avoir ter- miné des études islamiques à l’université d’al-Azhar 1 , dans les années 1920, avec tous les honneurs, il est devenu professeur en théologie, une autorité religieuse à al-Aqsa 2 . Là-bas, sur l’esplanade, il avait une pièce appelée aujourd’hui Dar al-Quran al-karim (la « mai- son du Coran sacré »), où il recevait tous ceux qui vou- laient apprendre et s’entretenir de questions religieuses. Pendant le ramadan, il restait constamment sur place les dix derniers jours, vu qu’ils sont considérés comme les plus importants 3 , puisque le Coran aurait été révélé au prophète à cette période. Une fois le soleil couché, nous lui apportions de quoi rompre le jeûne. À Nabi Samwil 4 , mon père était en charge à de la mosquée édifi ée en 1730 sous l’Empire ottoman, au-dessus du tombeau supposé de Samuel. Il avait Umaïma N Beyrouth LIBAN Tibériade Haïfa Césarée Damas SYRIE Nazareth Naplouse Ramallah Tel-Aviv Jaffa Beit Hanina Pont Allenby Nabi Samwil Jérusalem Gaza Hébron Beit Jibrin Le Caire Amman De sa terrasse, sur le toit de sa maison à Ramallah, Umaïma peut voir, au loin, le village de Nabi Samwil, et sa mosquée construite à l’endroit où est censé se trou- ver le tombeau du prophète Samuel, un lieu symbolique qui attire depuis des siècles les croyants musulmans et juifs. C’est là que Umaïma a eu la chance de passer son enfance, en famille. Elle s’amusait avec ses frères et sœurs dans les jardins au sommet de la colline, d’où l’on a une vue magique sur les lointains dômes dorés de Jérusalem ; Jérusalem où elle sera scolarisée. Tous les matins, Umaïma caresse du regard tous ces lieux qu’elle a gravés dans sa mémoire pour mieux transmettre son histoire d’avant 1948 à ses enfants et à ses petits-en- fants. C’est pourquoi elle ne veut pas quitter Ramallah : à quelques kilomètres à vol d’oiseau, Nabi Samwil et Jérusa- lem la retiennent. Pourtant ces lieux lui sont aujourd’ hui inaccessibles : elle fait partie des « absents », selon la loi israé- lienne. Ce qui veut dire que les propriétés de sa famille à Jérusalem et autour de la vieille ville ne lui appartiennent plus. Umaïma est absente, alors qu’elle vit en territoire palestinien, plus présente que jamais ! ÉGYPTE LE JORDANIE ISRAËL PROCHE-ORIENT EN 1949 100 km hérité cette fonction de son propre père, nommé par les autorités ottomanes. Le mausolée était situé dans une pièce fermée au sein de la mosquée perchée au sommet d’une colline à 859 m au-dessus du niveau de la mer, avec une vue exceptionnelle sur Jérusalem. Le site avait un monastère datant de l’époque byzantine, qui fut conquis en 1187 par Saladin et transformé au xv e siècle en un centre attirant des milliers de pèlerins 5 aussi bien juifs que musulmans. En tant que gardien de ce lieu sacré, mon père avait la chance d’y habiter avec sa femme et ses enfants. Nous vivions donc au sommet de la colline, juste au-des- sus de la mosquée, et j’ai grandi en voyant défi ler des fi gures emblématiques de l’islam des années quarante. La maison était entourée d’un verger de 26 dunums (2,6  ha) d’arbres : des fi guiers, orangers, grenadiers, oliviers… plantés par mon grand-père 6 . Les visiteurs s’asseyaient souvent à l’ombre de leur feuillage et leurs regards se nourrissaient de la beauté des paysages alen- tours. C’était un petit paradis. Umaïma MEMOIRE_PALESTINE_FR.indd 91 91 20/02/2019 13:37