PALESTINE Mémoires de 1948 - Jérusalem 2018 | Page 69

Nations unies en insistant sur le « désastre et les souf- frances sans précédent » subis par le peuple juif pendant la Seconde Guerre mondiale 15 et sur le besoin de créer deux États en Palestine. Ensuite, insistait-il, la force du mouvement sioniste installé en Palestine depuis la fin du xix e  siècle, la faiblesse des pays arabes – voire leur appétit à vouloir se partager ce qui resterait de la Pales- tine – avaient permis à une idée saugrenue de s’instal- ler dans les esprits : celle d’une « terre promise aux juifs par Dieu ». D’après Yukhavit 16 , ce slogan suffisait aux immigrants juifs qui s’installaient dans les maisons et les meubles des Palestiniens, pour ne jamais se poser de question… la « volonté divine » avait bon dos. La vie à Nazareth sous la loi martiale israélienne devenait chaque jour plus insupportable. Le 1 er   mai 1958, les autorités nous interdirent de manifester. Leur idée : faire une grande fête à la place. Ils avaient invité les notables de la société civile et religieuse, les mokh- tars et les cheikhs de tous les villages alentour, ainsi que des correspondants de la presse étrangère pour montrer à quel point la population était heureuse sous contrôle militaire israélien. Mais les « heureux » étaient peu nombreux, la majorité de ceux qui étaient venus, avaient peur ou voulaient bien se faire voir : crainte et opportunisme font bon ménage dans ce cas. Bien d’autres avaient refusé. La fête ne dura pas : des jeunes gens commencèrent à lancer des pierres sur ceux qui faisaient semblant de festoyer ; ce fut notre « Première Intifada 17  », notre guerre des pierres à l’intérieur d’Is- raël. Deux mille personnes venues de toute la région environnante entamèrent alors une marche du 1 er  mai, à la mi-journée, en partant de la fontaine de la Vierge Marie. Le cortège dura jusqu’à minuit, malgré quelques échauffourées avec l’armée. Mes amies du Mouvement et moi, nous nous bat- tions contre les lois établies par l’administration mili- taire et pour nos droits en tant que femmes, mais aussi pour notre survie en tant que minorité palestinienne ainsi que le droit de rester chez nous à ce titre. Nous partions en groupe à pied pour parcourir les villages vidés afin d’encourager ceux qui étaient restés à affir- mer leur identité et ceux qui étaient partis à revenir. Et même si la plupart des Palestiniens n’ont pas obtenu le droit de se réinstaller dans leurs villages dépeuplés 18 , comme le furent al-Mujaydal, Safuriya ou Ma’alul, ceux qui sont revenus ont élu domicile sur la colline en face de leur ancien village. Leur détermination forçait le respect. À Nazareth, les autorités israéliennes ont tenté d’absorber les immigrants juifs venus d’Europe et de Russie en construisant Nazareth Ilit (Nazareth Ville Haute) en 1953 19 , qui devait incarner le développement du peuplement juif de la Galilée. Nazareth s’étendait sur 43 000 dunums (4 300  ha), Ilit en a pris 36 000. L’idée était de ne pas mélanger les populations. À ceci près que le plan n’a pas fonctionné. Aujourd’hui, entre 23 et 30 % 20 des habitants d’Ilit sont des Palestiniens d’Israël. Et Nazareth, la principale ville arabe d’Israël, est très appréciée par les Israéliens d’origine Est-euro- péenne, d’ex-Union soviétique ou d’Amérique latine. Bien qu’ils soient juifs, leur attachement aux traditions chrétiennes est surtout visible à Noël, lorsque leurs foyers se remplissent de sapins et de guirlandes. Au fil du temps, le Mouvement s’est rapproché d’or- ganisations de défense de femmes israéliennes, comme ces mères qui refusaient de voir leurs enfants formés à la haine pendant le service militaire ou celles qui militaient contre le développement des colonies. Parmi elles se trouvait Tzefira Yonatan 21 , fille d’un professeur juif ukrainien qui avait fui les pogroms et émigré en Palestine en 1923 ; elle-même était née à Jérusalem et, après 1948, elle avait milité pour le retour de ses amis palestiniens dans leurs villages, dont ils avaient été expulsés lors d’opérations militaires en 1948. Elle s’op- posait fermement au fait qu’Israël renomme les villages pour en effacer la mémoire. Je l’ai rencontrée en 1973, peu après la mort de son fils de vingt et un ans dans la guerre du Kippour, lorsque sa lettre fut publiée dans un journal israélien : en tant que mère, elle osait écrire qu’elle n’en voulait pas à celui qui avait tué son fils, qu’il faisait peut-être partie des habitants d’un village détruit par les sionistes, qu’elle voulait rencontrer les mères originaires de ces villages… C’était courageux, vu le contexte, et cela lui valut beaucoup de critiques. Mais elle tint bon et, à partir de 1974, elle participa comme moi, aux « Ponts de la paix ». En 1976, nous nous sommes associées à une grève pour la Journée de la Terre. C’était juste après l’expro- priation de 25 000 dunums (2 500  ha) de nos terres en Galilée. Le soulèvement fut général, se propageant jusqu’en Cisjordanie et à Gaza 22 . Tous les Palestiniens étaient touchés. De la même manière, nous nous sommes tous sentis concernés par la Première Intifada en Cisjordanie en 1987 et nous avons milité pour un État palestinien indépendant pour les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Nous ne sommes pas moins Samira MEMOIRE_PALESTINE_FR.indd 67 67 20/02/2019 13:37