PALESTINE Mémoires de 1948 - Jérusalem 2018 | Page 58

étaient secs, nous avons dû couper et replanter. Le cœur lourd, parce que pour qu’un olivier produise des fruits, il faut attendre 7  ans… J’ai écrit une lettre à Yitzhak Rabin. Je n’ai jamais eu de réponse. En 1991, j’ai reçu une lettre qui m’annonçait que mes 32 dunums devenaient propriété de ce que certains Israé- liens et les colons appellent la « Judée-Samarie ». Cette année-là, beaucoup de terres ont été confisquées et les colonies se sont étendues de façon spectaculaire. J’ai décidé de me rendre chez la juge pour réclamer. Les murs de son bureau étaient recouverts de cartes de toute la Palestine. Je les regardais avec attention quand elle m’a lancé : – Toutes les terres qui figurent sur ces cartes font par- tie de la Judée-Samarie 10 . Montre-moi où est la tienne ! J’ai dit que non. Je ne voulais pas me prêter à ce petit jeu. – Les colons ont coupé mes arbres… – Mais… ta maison est à deux kilomètres de ton ter- rain, a-t-elle rétorqué. Comment as-tu pu savoir qu’ils coupaient des arbres ? – La terre est plate, j’ai répondu, et à 2  heures du matin, quand il n’y a plus que le silence, le bruit voyage. Le matin, je les ai vus, mes arbres : massacrés ! J’avais des photos des troncs blessés à la hache, un vrai carnage ; je les ai étalées sur la table. Elle a compris qu’elle devait appliquer la loi, et ça a suffi pour que tout s’arrête. Ma terre est restée mienne, mais je n’y ai plus eu accès après l’invasion du Koweït par l’Irak et pendant les deux années qui ont suivi, alors que les colons, eux, y organisaient des pique-niques ; c’est le moment où tous mes frères ont dû quitter le Koweït 11 . Pour assurer la récolte, j’ai dû faire appel à la Croix- Rouge qui m’a obtenu un laissez-passer… mais seule- ment pour deux heures ! Et pas à n’importe quelle heure : à 7  heures du matin, et… entouré de quatre voitures de police. Quand ils m’ont vu, les colons sont devenus furieux, ils m’ont craché dessus. Ils sont prêts à tout pour posséder nos terres et étendre leurs colonies. À Jéricho, en 1967, un ministre jordanien de l’époque et propriétaire d’un terrain est mort ; alors ils ont trouvé un paysan qui portait le même nom que lui et lui ont fait signer la vente à la place du mort. Peu importe que ce soit illégal, ce qu’ils voulaient, c’était une signa- ture. C’est pourquoi je n’ai jamais signé aucun papier : je 56 ne veux pas qu’on me tue et qu’on utilise ma signature pour vendre ma terre ensuite… Il y a deux ans, les colons ont décimé cent sept de mes arbres qui avaient trente à cinquante ans d’âge. Ils ont également voulu construire des piscines et ils avaient déjà distribué des tracts publicitaires avant de commen- cer les travaux, tant ils étaient sûrs d’eux-mêmes… Ce qui me brise le cœur, c’est que depuis les années 2000 les droits d’accès à mes oliviers se réduisent chaque jour. Même si, depuis quelques années, une association israé- lienne, Harakat el Salam 12 , constituée d’avocats israé- liens, nous vient en aide chaque fois que les colons nous attaquent ou nous prennent des terres en nous menaçant. C’est rassurant de savoir qu’il y a aussi des personnes en Israël qui comprennent que nous avons le droit de rester chez nous. Mais, honnêtement, appeler ce qui nous reste « Territoires palestiniens », c’est se moquer ouvertement des Palestiniens et des accords internationaux, alors que le monde entier ferme les yeux quand Israël ou les colons cherchent à nous faire disparaître… L’histoire de ma terre doit être connue dans toute la région, car dernièrement le responsable de l’armée israélienne en Cisjordanie a voulu me rencontrer. Il m’a demandé combien de litres d’huile d’olive j’arrivais à produire par an. Il voulait savoir si j’arrivais à en vivre et j’ai dit que oui. Maintenant, je n’ai plus le droit de me rendre là-bas quand je le veux. Le responsable de la sécurité des colo- nies, un juif irakien, a décidé que je ne pouvais y aller que six jours par an : une journée pour l’engrais et cinq jours pour la collecte de mes olives en octobre ! Et encore : pas les fins de semaine, parce que c’est le moment où les colons s’y promènent. Et chaque fois je suis « gardé » par quatre soldats israéliens qui sont là, disent-ils, pour me protéger des colons. Cinq jours c’est trop peu ; alors je dois faire appel à des collecteurs pour ne pas perdre ma récolte. Pendant ce temps, ils ont élargi la route, toujours sans autorisation, en s’appropriant 1,5  dunum supplé- mentaire. Et maintenant… cette lettre qui m’exproprie parce qu’ils l’ont décidé et que l’« Irakien » a les moyens de poster des gens en armes où il veut. Il y a quelques mois il m’a lancé, d’un air malin : – Si vous vendiez, vous seriez riche, vous pourriez acheter une voiture à chacun de vos enfants… Mémoires de 1948 MEMOIRE_PALESTINE_FR.indd 56 20/02/2019 13:37