PALESTINE Mémoires de 1948 - Jérusalem 2018 | Page 52

« 48 », c’est ainsi que nous les Palestiniens désignons Israël 4 . En 1948 j’avais cinq ans. Nous vivions à la cam- pagne ; mes parents n’avaient ni radio ni télévision, et les informations arrivaient difficilement. D’ailleurs, nous ne voyions les Britanniques que lorsque nous allions en ville… Nous étions dix enfants. Saleh, mon père, était agri- culteur, cultivateur, vendeur et surtout découvreur et passeur de technologies nouvelles dans l’agriculture. On l’appelait « l’ambassadeur », il était très respecté dans la région. Souvent il partait avec son chameau, qu’il chargeait de sacs d’excréments d’agneau, pour vendre cet engrais à Haïfa et Jaffa, autant à des Pales- tiniens qu’à des immigrants juifs venus en 1920-1930, en provenance d’Europe essentiellement. À la fin des années 1940, la sécheresse tua nos récoltes, les puits étaient à sec. Nous devions marcher pendant des kilo- mètres jusqu’aux sources du Wadi Qana pour rapporter l’eau. Un jour, pendant l’été 1948, des dizaines puis des centaines de personnes ont débarqué dans notre village, des familles entières se sont entassées sur les terres non cultivées environnantes. Ils fuyaient Kafr Saba, Arab Abu Kishek… des villages qui faisaient désormais par- tie du nouvel État d’Israël. Une frontière nous séparait dorénavant de nos voisins d’hier parce que leurs terres faisaient désormais partie d’Israël. Ils étaient chassés, nous pas… du moins pas cette année-là. Terrorisés par les attaques des groupes paramili- taires et les images du massacre de Deir Yassin 5 , ces voisins avaient quitté leur maison sans rien emporter, pensant retourner prochainement chez eux après la libération de leurs terres par les armées des pays arabes, qui avaient réussi à les convaincre de leur force… Pauvres voisins ! Ils étaient si démunis qu’ils donnaient volontiers leurs chaussures en échange d’un peu de nourriture, dormant à même le sol, et plantaient ce qu’ils pouvaient à la sauvette. Du melon et des faqousse, variété de concombres longs et fins, entre autres, que nous ne cultivions pas. Ils ramassaient aussi du bois pour fabriquer du charbon qu’ils vendaient en hiver pour peu cher. Mon père leur en achetait, l’emportait à Rafidia, village à l’ouest de Naplouse, pour le revendre, puis allait à Naplouse, d’où il ramenait un peu de farine que ma mère transformait en galettes, remplissant nos ventres affamés. Nous n’avions pas grand-chose à par- tager à part quelques dattes trempées dans de l’eau 50 tiède et du pain qui constituaient l’essentiel de nos repas. Nos olives étaient très petites ces années-là. Ces familles sont restées trois à quatre ans à Kafr Laqif, puis ont été regroupées par l’Unrwa 6 dans des camps à Mémoires de 1948 MEMOIRE_PALESTINE_FR.indd 50 20/02/2019 13:37