PALESTINE Mémoires de 1948 - Jérusalem 2018 | Page 51

Le gardien des oliviers Souleyman Hassan, 75 ans Souleyman N Beyrouth LIBAN Kafr Saba Tel-Aviv Jaffa Ramallah Jérusalem Gaza Hébron Rafidia Haïfa Kafr Qadum Nazareth Naplouse Kafr Laqif Damas SYRIE Dera’a Ramtha Irbid Jéricho Amman Un bâton de bois dans la main droite, le keffi eh blanc noué sur ses cheveux d’argent, il parcourt les paysages val- lonnés du sud-ouest de Naplouse, lentement, en suivant son troupeau de moutons. Tous les matins depuis qu’il sait marcher, Souleyman emprunte le sentier qui mène à l’en- droit le plus élevé de Kafr Laqif, un village palestinien de 1 000 habitants, stratégique, puisqu’il se trouve tout près de l’axe Naplouse-Tel-Aviv, à une trentaine de kilomètres seu- lement de la Méditerranée et à côté du mur de séparation 1 . À 5 heures du matin, sa silhouette, taillée comme un olivier robuste, se faufi le parmi les rochers, s’assied sur l’un d’eux et pose son regard bleu sur ses arbres, au pied de la colline, tout en passant la terre ocre entre ses doigts rugueux. Une manière de la tâter, de la caresser, de la questionner sur ses besoins. Car il sent, Souleyman, il sent et il sait. Il sait, parce que, depuis soixante-quinze ans, il y plonge ses mains et peut annoncer la qualité de son huile bien avant la récolte des olives en octobre. Ses oliviers que, depuis des siècles, ses ancêtres puis son père, ont plantés et soigneuse- ment entretenus. El-Ard, la terre, son honneur, sa fi erté, sa cause. El-Ard, ses oliviers et sa terre, aux parfums de thym et de sauge sauvages. 32,370  dunums 2 (3,24  ha) balafrés par une route qu’ont construite en 1982 des colons venus d’Iran, d’Irak, du Yémen et de Russie. Des étran- gers qui ont décidé, sans demander d’autorisation et avec l’appui d’Israël, de s’installer là, prétextant un prétendu droit biblique. Depuis, Souleyman a vu les colonies et leurs maisons blanches aux toits rouge brique s’étaler jusqu’ à étrangler ses terres à lui… pour mieux les engloutir un jour. Mais Souleyman n’est pas homme à plier devant les menaces. Et une stratégie d’annexion, quelle qu’elle soit, même si elle est appuyée par les autorités israéliennes, reste illégale selon le droit international. Alors, malgré le risque, ce berger-agriculteur palestinien défend sa terre qu’ il aime, cultive et nourrit, en clamant patiemment son bien et en se rendant à la police et devant les juges à Jéru- salem. Son combat pacifi que, sa constance, sa ténacité ont fait de lui un homme respecté, tant par les Palestiniens de Kafr Laqif et de ses environs, que par ceux qui cherchent encore aujourd’ hui à le faire plier. JORDANIE ÉGYPTE LE ISRAËL PROCHE-ORIENT EN 1949 100 km J’ai reçu la lettre le 1 er  novembre 2015. Elle était datée du 21 octobre et me donnait 45 jours pour agir et m’opposer à leur décision de prendre 4 dunums (0,4 ha) sur mes terres. « Mes » terres 3 . Celles que mon père a achetées et cultivées et dont je suis l’héritier. Mes terres qui se trouvent en Palestine et non pas en Israël. Oh, c’est loin d’être la première fois qu’ils essayent de me la prendre ! Une lettre offi cielle, ça en intimide plus d’un. Et je sais que mes 32 dunums (3,2 ha) à la sortie du village de Kafr Laqif intéressent les colonies qui veulent toujours s’agrandir, puisque personne ne les arrête ! Mais chaque fois qu’ils ont tenté de m’expulser, je suis allé devant le tribunal, même s’ils me fermaient la porte au nez quand j’arrivais et qu’il fallait y retour- ner le lendemain, puis le surlendemain… Et jusqu’ici, j’ai gagné le droit de garder ma terre, mais seulement sur le papier : dans les faits, ce sont eux qui en disposent et qui décident quels sont les moments où je peux y accéder pour récolter mes olives ! Souleyman MEMOIRE_PALESTINE_FR.indd 49 49 20/02/2019 13:37