PALESTINE Mémoires de 1948 - Jérusalem 2018 | Page 39
pas avoir déboursé pour rien ces frais de justice, elles
réclamèrent l’application par Israël de la décision du
tribunal jordanien, qui les mettait en défaut. Et, cette
fois, les autorités israéliennes donnèrent leur accord
au principe du dégel, sinon que… pour leur part,
elles ne pouvaient pas rendre cet argent, puisqu’elles
ne l’avaient plus : elles l’avaient utilisé ! Les banques
ont alors proposé d’accorder un prêt de 12 millions
de livres à Israël, le double de l’argent gelé, un prêt à
taux d’intérêt très bas remboursable en vingt ans. Et
l’idée convint à toutes les parties : les autorités israé-
liennes décrochaient un emprunt très intéressant, et les
familles palestiniennes récupéraient leurs avoirs, même
si le remboursement – d’un montant de 50 à 60 livres
mensuelles seulement – devait s’étaler sur une longue
période. La bataille était finie.
L’affaire fit une grosse publicité à notre cabinet.
C’est à ce moment-là que réapparut dans ma vie mon
meilleur ami, Mahmud Abu Zalaf. Le journal pour
lequel il travaillait, Al-Difa’, avait dû déménager au
Caire, mais n’avait pas trouvé son audience. Il était de
retour à Jérusalem et travaillait désormais à Al-Jihad 13 .
Pendant plus de sept ans, j’ai régulièrement écrit un
édito dans ce journal, mais sans jamais le signer…
Quelques années plus tard, en 1959, je rencontrai
ma future femme. Shamieh Labibeh travaillait pour
une fondation américaine dont je connaissais la direc-
tion. Elle était merveilleuse, brillante, belle, et ces mots
sont fades, tant sa présence remplit ma vie. Elle était
de Jérusalem tout comme moi. Sa famille avait émi-
gré en Jordanie, puis au Bahrein, où elle avait ensei-
gné l’histoire et la géographie aux enfants de la famille
royale. Nous nous sommes mariés à la cathédrale Saint-
Georges à Jérusalem et avons construit notre maison à
Ramallah, où ont grandi nos quatre garçons.
Quand la guerre des Six-Jours a éclaté le 6 juin 1967,
nous nous sommes enfuis de Ramallah pour Amman,
en famille. Je me souviens qu’à la frontière il y avait
des soldats irakiens qui fuyaient eux aussi. Pour moi,
ça n’a pas été une « guerre » ni le « début d’une guerre »,
parce que, à mes yeux, la guerre était finie avant même
d’avoir commencé. J’ai dû attendre deux mois que la
Croix-Rouge nous délivre un permis, donné avec l’ac-
cord d’Israël à seulement 3 000 personnes, pour pou-
voir retourner à Ramallah avec tous les miens.
Nous étions désormais régis par les militaires israé-
liens qui émettaient des ordres pour réglementer la vie
en Cisjordanie. L’admettre portait un coup à notre fierté,
mais c’était une réalité. Il fallut donc, de toute urgence,
apprendre l’hébreu, ne serait-ce que pour pouvoir com-
prendre les lettres administratives, les journaux, ce qui
se disait à la radio et plus généralement toutes les lois
qui nous étaient imposées 14 . Alors nous nous sommes
inscrits, ma femme et moi, à des cours dans un institut
américain à Jérusalem-Ouest qui enseignait l’arabe et
l’hébreu. Plus de la moitié des élèves étaient des Arabes
comme nous, les autres venaient des États-Unis pour
devenir Israéliens.
Du côté du cabinet, il fallut tout reprendre de zéro.
Absolument toutes les banques avaient dû fermer, sauf
deux : la Leumi 15 , dont le directeur était un ancien
camarade de classe de Beyrouth, et la Israël Discount
Bank 16 . Les lois jordaniennes qui prévalaient en Cisjor-
danie depuis 1950 n’ayant pas été changées en 1967,
les banques avaient besoin de notre expertise, et nous
avons pu travailler avec l’une des deux, la Leumi. Les
relations étaient professionnelles et basées sur le respect
mutuel. Heureusement, avec le temps, d’autres banques
ont pu ouvrir en Cisjordanie. Parallèlement aux conseils
bancaires, nous dénoncions d’un point de vue légal la
manière dont les militaires israéliens violaient les lois
nationales et internationales en Cisjordanie, lorsqu’il
s’agissait de s’approprier les terres ou de construire des
colonies et des routes.
Ma carrière après 1967 se déroula selon de multiples
facettes. Jusqu’en 1968, j’ai continué d’être vice-pré-
sident de l’association des Avocats du barreau où j’étais
élu depuis 1964. Notre cabinet fit encore parler de lui
en défendant, en 1974, Hilarion Cappuci, archevêque
de l’église grecque-catholique melkite de Jérusalem,
qu’Israël accusait de trafic d’armes pour l’OLP. Puis,
en 1984, nous avons également publié une étude sur la
planification des routes mise en place par Israël dans
les territoires occupés, où nous dénoncions ce que le
plan dissimulait : la destruction des systèmes d’irriga-
tion utilisés par les populations palestiniennes. Plus
tard, après les accords d’Oslo de 1994, j’ai travaillé à
la rédaction de nouvelles lois pour le Territoire palesti-
nien. Et, en 1997, j’ai même été un conseiller juridique
pour l’Autorité monétaire de Ramallah et nous avons
conseillé des ONG et de grandes entreprises internatio-
nales dans la mise en place de leurs projets de dévelop-
pement en matière d’infrastructure, de ressources en
eau, électricité et gaz naturel.
Fouad
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