PALESTINE Mémoires de 1948 - Jérusalem 2018 | Page 20
Un autre récit met en lumière le lien étroit entre la culture de la terre et la détermination à être
présent et à maintenir ses droits. Les habitants du village de Battir, près de Jérusalem, pris de
peur après le massacre de Deir Yassin, n’osaient pas dormir dans leur village près du chemin de
fer qui relie Jérusalem à Jaffa. Ils continuaient pourtant à cultiver leur terre pendant la journée
afin de donner l’impression à l’armée israélienne que le village était toujours habité. Lorsque
Battir risqua de se retrouver dans le no man’s land entre les lignes de démarcation israélienne et
jordanienne, Hassan Moustafa, décida avec une vingtaine d’autres habitants, de recourir à une
ruse afin d’empêcher l’évacuation du village. La population réussit de nouveau à sauver ses terres
en 2014 avec l’inscription de Battir par l’Unesco sur la liste du patrimoine mondial en péril, lui
évitant ainsi de contribuer à l’extension du mur de séparation.
Envers et contre tout – al-sumûd
Le destin de Battir nous amène au registre de la créativité et de la résistance qui se caractérisent
en Palestine surtout par la persévérance, ou la capacité de tenir bon (al-sumûd). Trait révolution-
naire exalté par les nationalistes palestiniens, ce type de résistance se traduit essentiellement dans
le comportement quotidien. La notion de sumûd s’est développée à partir des années 1970, en
réponse aux transformations profondes que connaissait la société rurale palestinienne. Ainsi, les
confiscations de terres, jointes à l’attraction du marché du travail israélien, ont eu un impact sur
le milieu rural palestinien. Al-sumûd, dans ce contexte-là, voulait dire demeurer dans son village
et préserver sa terre 8 .
Dans les récits rassemblés ici, la persévérance prend des formes différentes selon les circonstances.
De la volonté de réussite individuelle pour assurer la survie familiale malgré la dépossession à
l’engagement militant dans la résistance palestinienne, al-sumûd se fonde avant tout sur la volon-
té de ne pas être une victime qui subit son sort.
Certains, à l’instar de Mouhyeddin al-Jamal, inscrivent cette volonté dans leur récit biogra-
phique, tel le début d’une épopée. Enfant pauvre d’un village près de Ramleh, il réussit gra-
duellement à devenir un entrepreneur prospère au Brésil. Pour d’autres, cette persévérance est
liée à la conviction qu’il faut rétablir le droit et refuser l’injustice. L’avocat Fouad Shehadeh, né
à Jérusalem en 1925, décide en 1950 de poursuivre en justice les deux banques internationales
qui avaient gelé les avoirs des Palestiniens à la demande des autorités israéliennes. Ceci permit
aux familles de récupérer leur argent, même si cela n’était qu’à travers des petits remboursements
mensuels.
Dans ce même esprit de combat contre l’injustice, d’autres ont décidé de vouer leur vie à la
résistance et de rejoindre les rangs de l’OLP. Certains l’ont payé de leur vie, comme Majed Abu
Sharar, dont le parcours est ici raconté par sa famille et ses amis. On compte aussi des femmes,
dont Samira Khoury de Nazareth, une des fondatrices de l’association baptisée Nahda (le « ré-
veil »), qui milita dès la fondation de l’État d’Israël contre la loi martiale imposée aux habitants
des villes et villages palestiniens. D’autres femmes organisaient la réponse civique et politique aux
bouleversements répétés qu’a connus la société palestinienne, telle l’universitaire Ilham Abugha-
zaleh à Naplouse.
8. S. Tamari et R. Hammami, « Populist Paradigms : A Review of Trends and Research Problems in Palestinian Sociology », dans
R. Bocco et al. (dir.), Palestine, Palestiniens : Territoire national, espaces communautaires, Beyrouth, CERMOC, 1997, p. 29.
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Introduction
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