PALESTINE Mémoires de 1948 - Jérusalem 2018 | Page 193

« Chiliens d’origine palestinienne : “Nous n’oublions pas nos racines” » mes ancêtres, mais pour d’autres raisons, et je suis arrivé à Santiago en bateau en 1961, à vingt-six ans. Mais mon cœur et ma tête étaient restés à Beit Jala. Com- ment faire autrement ? Mon père, mon grand-père, tous mes ancêtres faisaient partie de la ville, travaillant dur pour construire une vie et soudain, tout cela partait en fumée ! Je me sentais coupable d’être loin. Loin des réfugiés qu’il fallait aider et de mes amis militants en prison. Plus d’une fois j’ai fait mes valises pour retour- ner à Beit Jala, d’autant que je ne parlais pas la langue et ne connaissais pas la culture chilienne ; mais peu à peu, quand j’ai commencé à parler le castillan, tout est devenu possible. J’ai imité mes compatriotes palesti- niens – surnommés paisanos 27 – du Chili : je suis parti sur les routes pour devenir commerçant ambulant. Je vendais de tout à tout le monde, cela s’appelait le « falt » (une expression inventée qui vient de lo que falta, « ce qui manque »). L’idée étant que le vendeur se déplace vers l’acheteur, et non l’inverse, en donnant aux clients la possibilité de payer plus tard. Petit à petit, à force de travailler durement, je me suis créé une clientèle et je l’ai fidélisée. Le commerce me permettait de gagner de l’argent plus rapidement que l’agriculture. J’avais des clients partout, dans toute la société chilienne, pas uniquement parmi les Arabes 28 . Les Shahwan, mes ancêtres, avaient créé la première industrie textile du Chili dans les années 1920, j’ai fait la même chose. Je me suis marié avec une femme chilienne, et nous nous sommes installés au n° 559 de la rue Santa Filomena, juste à côté de la cathédrale orthodoxe de Santiago, San Jorge, construite en 1917 dans le quartier de Patro- nato 29 . Au début, nous avons disposé des machines à coudre dans la salle à manger de notre maison, puis nous avons abattu le mur de la chambre à coucher pour en faire une boutique. Et l’affaire a très bien marché. Je gardais contact avec mes amis et mes proches Pales- Nakhle MEMOIRE_PALESTINE_FR.indd 191 191 20/02/2019 13:39