PALESTINE Mémoires de 1948 - Jérusalem 2018 | Page 189

Chilistinien : Palestinien du Chili ou Chilien d’origine palestinienne ? Nakhle Shahwan, 83 ans Je viens de Beit Jala comme la majeure partie des Palestiniens qui ont émigré au Chili. Beit Jala, c’est ma maison, ma famille, mes ancêtres, c’est là que je suis né, c’est là que j’ai grandi, c’est là où je Nakhle N Beyrouth Damas LIBAN Saint-Jean d’Acre SYRIE Haïfa Nazareth Jérusalem Beit Jala Gaza Hébron ÉGYPTE LE Mafraq Tel-Aviv Jaffa Bethlehem Irbid Naplouse Amman La plus grande communauté palestinienne, en dehors du monde arabe, vit au Chili. Appelés « Turcos » par les Chiliens 1 , en raison du passeport ottoman qu’ ils pos- sédaient à l’arrivée en Amérique du Sud dès la fi n du xix e   siècle 2 , ils venaient essentiellement de trois villages : Beit Jala, Beit Sahour et Bethlehem, et étaient pour la plupart chrétiens. Fuyant la pauvreté, la conscription sous les Ottomans et l’ idée de pouvoir servir de chair à canon pendant la Première Guerre mondiale, ils cher- chaient – tout comme beaucoup d’Européens – l’Eldorado qu’ incarnait l’Amérique à leurs yeux 3 . Il est vrai que le Chili ouvrait clairement ses portes à l’ immigration, qui était regardée comme un apport au progrès économique du pays. Les descendants des Palestiniens compteraient aujourd’ hui entre 300 000 4 et 400 000 5 personnes. Dès le début de 1920, ils vont créer des structures ara- bo-palestiniennes qui leur permettent de se retrouver et de ne pas oublier leur origine. Ainsi naîtront l’ équipe de football Palestino 6 , des publications, des radios en arabe, des groupes de danse de dabkeh et des clubs sociaux pales- tinos 7 . Nakhle Shahwan est connu par tous les Palestiniens du Chili. Il est l’un de ceux qui ont fait briller le quar- tier palestinien de Patronato, collé aux berges du Mapo- cho, le fl euve gris qui traverse Santiago. Patronato où il a vendu du tissu en gros puis de la confection. S’ il a pris la direction du Chili, en 1961, lorsqu’ il a été obligé de quitter Beit Jala, c’est parce qu’ il savait qu’ il y trouverait de la famille et des proches originaires de son village. En posant sa valise sur cette terre lointaine, terre d’asile de tant d’Arabes 8 avant lui, il sut qu’ il était arrivé à bon port. Un port qui, au fi l du temps et de l’ impossibilité d’un retour en Palestine, est devenu son lieu de vie per- manent. Beit Sahour ISRAËL PROCHE-ORIENT EN 1949 JORDANIE al-Jafer 100 km voudrais être. Mon père, Nicolas Shahwan, était tailleur de pierres là-bas, de belles pierres blanches aux teintes roses, utilisées pour la construction des grandes bâtisses de Jérusalem et des environs, jusqu’à Bethlehem. Le travail payait bien, puisque avec le temps mes parents avaient pu acheter une belle maison à Jérusalem, dans le nouveau quartier de Qatamoun. Mon père était chrétien comme plus de trois quarts des habitants de Beit Jala. C’était un homme simple mais travailleur. Un jour, en 1941 – j’avais six ans – il est parti à la chasse, son fusil en bandoulière ; les villageois ont trouvé son corps et son fusil quelques jours plus tard. Et ma pauvre mère est restée seule avec ses cinq enfants. L’aînée des trois fi lles était déjà mariée, c’est donc la cadette, ma sœur Neme qui, à onze ans, s’est occupée de nous autres pour aider notre mère. J’avais dix ans à la fi n de la Seconde Guerre mondiale. Je me souviens très clairement d’un sentiment d’injus- tice et de révolte grandissant parmi les Palestiniens vis- à-vis des Britanniques qui géraient la vie économique et Nakhle MEMOIRE_PALESTINE_FR.indd 187 187 20/02/2019 13:38