PALESTINE Mémoires de 1948 - Jérusalem 2018 | Page 159

L’excellence : le devoir d’une femme palestinienne Tamam al-Ghul, 80 ans Tamam Damas LIBAN SYRIE Haïfa Nazareth Gaza Jérusalem Silwane Hébron Amman Tel-Aviv Jaffa Naplouse Jéricho JORDANIE ÉGYPTE Comme chaque vendredi, vers 11  heures du matin, mes grands-parents paternels, Khader et Tamam, avaient pris le petit chemin qui reliait le vil- lage de Silwane à la vieille ville de Jérusalem. Après une vingtaine de minutes de marche, ils sont rentrés par la porte des Lions, Bab el-Sbat et sont allés à la mosquée al-Aqsa. Comme chaque vendredi, après la prière, ils ont fait un tour au marché des légumes. Ils y ont salué leurs amis, les voisins et les commerçants, sans se douter un instant qu’ils vivaient leurs dernières minutes. Une bombe posée par l’Irgoun, une organisa- tion sioniste terroriste, les a fauchés. C’était en 1938, dix années avant la création de l’État d’Israël. Mon père, Ali, n’était pas là : il avait dû partir loin de Jérusalem, se cacher avec un groupe d’opposants au mandat britannique, de l’autre côté du Jourdain. Ma mère, Maryam, qui était enceinte, était restée à Silwane avec leurs six enfants. Ce n’était pas la première fois que mon père avait dû s’enfuir ainsi : le gouvernement britannique emprisonnait et réprimait durement ceux qui osaient contester sa politique dans la région depuis les accords Sykes-Picot 2 . N Beyrouth De quoi rêvaient les petites fi lles nées dans les années 1930 en Palestine ? Elles voulaient s’ instruire, mais on ne leur a pas toujours accordé ce souhait, la plupart des familles misant d’abord sur l’ éducation des garçons. C’est en tout cas ce qu’ évoque Tamam al-Ghul lorsqu’elle parle de son enfance à Silwane, juste à côté de la vieille ville de Jérusalem. Sa chance à elle, c’est d’avoir eu des frères qui se sont battus pour elle, pour qu’elle puisse être scolarisée. Et à l’ école, comme dans la vie, en tant que femme et en tant que Palestinienne puis Jordanienne 1 , Tamam a compris qu’elle devait s’eff orcer d’ être la meilleure si elle voulait exister. C’est cette attitude qui l’a conduite à jouer un rôle important dans les plus hautes instances décisionnaires jordaniennes et dans les organisations internationales. Un rôle qui l’a toujours, de près ou de loin, ramenée à sa ville, Jérusalem. LE ISRAËL PROCHE-ORIENT EN 1949 100 km Quand il sut que l’heure de ma naissance appro- chait, mon père envoya un télégramme à la famille : si c’était un garçon, il souhaitait lui donner le nom de Khader comme son père, sinon, celui de Tamam, comme sa mère. Le jour où je suis arrivée au monde, le 13 décembre 1938, l’un des mokhtars 3 , chargé d’enregis- trer les naissances de Silwane, a donc noté que Tamam al-Ghul était venue au monde ; mais comme il ne se rendait à Jérusalem qu’une fois par semaine, ma date de naissance n’a été enregistrée offi ciellement que cinq jours plus tard, le 18  décembre, en même temps que celle de tous les enfants de Silwane nés cette semaine-là. Seulement voilà, lorsque mes tantes apprirent la nou- velle, elles n’ont pas du tout apprécié que je porte le nom de leur mère ; si quelqu’un s’était fâché contre moi en m’appelant Tamam, cela aurait insulté la mémoire de ma grand-mère. C’est pourquoi, dans un geste de conciliation, mon père proposa de me surnommer Um el-Kheir (« mère de la bonté »). Résultat : jamais per- sonne de la famille ne m’appela Tamam, pas même Tamam MEMOIRE_PALESTINE_FR.indd 157 157 20/02/2019 13:38