PALESTINE Mémoires de 1948 - Jérusalem 2018 | Page 151
Le patriarche
Michel Sabbah, 85 ans
Je viens de Nazareth, en Galilée. Nazareth
en 1933, l’année de ma naissance, était une petite ville
de 7 000 habitants, dont la population était composée
de chrétiens et de musulmans. Nous étions une grande
famille, cinq garçons et trois fi lles. Mes parents étaient
Michel
N
Beyrouth
Damas
LIBAN
Haïfa
SYRIE
Nazareth
Tantoura
Jénine
Jérusalem
Beit Jala
Gaza
Hébron
Dawaimeh
ÉGYPTE
LE
Amman
Deir Yassin
Tel-Aviv
Jaffa
Naplouse
Madaba
Si le Patriarcat latin de Jérusalem existe depuis le
V e siècle, il a joué à partir de 1099, à l’ époque des croi-
sés, un rôle important pour la Chrétienté, donnant une
existence juridique à l’Église catholique en Terre sainte.
De longs siècles d’ inactivité suivirent, puis il retrouva son
prestige en 1847 sous le pape Pie IX, qui, soucieux de créer
une structure canonique ecclésiale à Jérusalem, nomma
Mgr Joseph Valerga patriarche de l’Église latine à Jéru-
salem. Sa juridiction, agréée par le gouvernement otto-
man, devait s’ étendre sur la Palestine, la Transjordanie et
Chypre. Parlant les langues de la région, dont le syriaque,
le turc, l’arabe, l’ hébreu et le chaldéen, cet homme d’ à
peine trente-sept ans, redore en vingt-cinq ans d’ épisco-
pat le blason de la minorité catholique dans la région. Ce
rayonnement faiblit considérablement lors de la Première
Guerre mondiale, mais reprend dès la proclamation du
mandat britannique en 1920, et ce jusqu’en 1947. Le
Patriarcat latin de Jérusalem reste de nos jours une des
juridictions chrétiennes les plus infl uentes.
En 1987, l’ institution ecclésiale ose même la nomina-
tion au Patriarcat de Jérusalem d’un non-Italien : Michel
Sabbah est le premier patriarche arabe, palestinien et
chrétien, de Jérusalem et le reste pendant vingt et un ans,
jusqu’en 2008. Patriarche d’un pays en guerre, il n’a cessé
de défendre publiquement les Palestiniens, en appelant à
l’ instauration d’une paix juste en Palestine.
Le patriarche Michel Sabbah reçoit au couvent des
Sœurs-Sainte-Brigitte, sur le mont des Oliviers. Au bout
d’un petit chemin s’ouvre un grand portail vert en fer forgé.
La voix à l’interphone est féminine. La porte grince, s’ouvre
lentement. Et soudain, la verdure. Une allée comme tracée
au pinceau, s’aventure parmi les arbres jusqu’ à un bâti-
ment qui donne sur les dômes dorés de Jérusalem.
JORDANIE
Karak
ISRAËL
PROCHE-ORIENT
EN
1949
100 km
nés sous l’Empire ottoman, et en 1920 ils étaient passés
sous mandat britannique. Nous vivions en paix. Notre
passeport était écrit en anglais, en arabe et en hébreu,
mais c’était un passeport palestinien, le même pour
tout le monde, quelle que fût sa religion.
Mon père travaillait dans le bâtiment, ensuite il a
vendu des légumes au marché. Parfois, nous allions
nous promener dans la campagne jusqu’au kibboutz
voisin de Kfar Ha Horesh (« Village du laboureur »).
Créé en 1933 sur un terrain acheté par le Jewish Natio-
nal Fund en 1930, le kibboutz existe toujours. L’eau des
sources crépitait, les arbres fruitiers abondaient. Pour
aller en ville, nous prenions le bus qui desservait Haïfa.
J’avais trois ans lorsque la Grande Révolte de 1936
contre les Anglais a éclaté, et nous en avons entendu
parler pendant des années, tant elle a marqué tous les
esprits. C’était la première fois que j’étais confronté
à la violence. L’humanité avait soudain été divisée
en clans bien distincts : les Palestiniens (musulmans
et chrétiens), dont les militants antisionistes (qu’on
Michel
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