PALESTINE Mémoires de 1948 - Jérusalem 2018 | Page 133
De Gaza à Rio,
itinéraire d’un « compatriote de Dieu »
Mouhyeddine al-Jamal, environ 87 ans
N
Beyrouth
LIBAN
Damas
SYRIE
Haïfa
Nazareth
Tel-Aviv
Jaffa
Yibna
Gaza
Port-Saïd
ÉGYPTE
LE
Aqir
Jérusalem
Hébron
Naplouse
On dit souvent que les années de l’enfance
vous défi nissent. Pour moi ça a été le cas. Mon enfance
a été marquée par ma mère, une femme que la vie
n’épargnait pas. Mes parents avaient acheté un terrain
pour y planter des orangers et elle était en train de
transporter des pierres sur sa tête quand elle accoucha
d’un prématuré au milieu de la poussière. C’est ainsi
que j’ai vu le jour. Pensant que je ne survivrais pas, elle
fi t devant Dieu le vœu solennel que si je restais en vie,
elle sacrifi erait un mouton tous les ans et le distribue-
rait à plus pauvre qu’elle. Non seulement elle s’acquitta
de son vœu, mais elle me demanda de le poursuivre
jusqu’à ma mort, en son nom.
Dans l’extrême pauvreté, certains voient se présen-
ter une chance qui passe et la saisissent. Moi, je me suis
accroché sans crainte, parce que ma mère m’a appris à
ne jamais avoir peur. Ma bonne étoile m’a souri vers
1946, à l’âge de quatorze ans. Tous les matins, je pre-
nais ma bicyclette pour aller de Yibna à Aqir, près de
Ramleh, où les Britanniques avaient installé une base
après qu’une bombe eut totalement détruit leur quar-
tier général de Jérusalem au King David Hotel 1 . Je
nettoyais le sol dans le hangar de la Royal Air Force
(RAF) 2 . Comme je n’ai pas de certifi cat de naissance,
j’ai réussi à me faire passer pour plus vieux que mon
âge afi n d’être mieux payé. Et puis, à force de tourner
autour des mécaniciens et de les aider à passer sous les
avions et à atteindre les endroits diffi cilement acces-
Mouhyeddine
Amman
Il a su surmonter la peur qu’ il a ressentie en 1948
lorsque sa famille a été expulsée de son village par l’ar-
mée israélienne. Il a troqué sa détresse pour la témérité, sa
pauvreté pour la capacité d’adaptation et son absence de
formation en savoir-faire.
La vie a emmené Mouhyeddine al-Jamal de Gaza à
Rio de Janeiro, des favelas coupe-gorge jusqu’aux beaux
quartiers, d’Amazonie aux États-Unis en passant par la
Jordanie. Son histoire est celle d’un Palestinien qui, ne
pouvant rentrer chez lui, est devenu citoyen du monde.
JORDANIE
Beersheba
ISRAËL
PROCHE-ORIENT
EN
1949
100 km
sibles grâce à mes petites mains, j’ai appris et appris
jusqu’au moment où je suis allé voir les responsables et
j’ai déclaré :
– Je veux devenir mécanicien d’avions !
J’ai passé avec succès un test qui consistait à tordre
un morceau de fer jusqu’à en faire une clé de serrage ;
et j’ai fi ni par être pris. Je me suis occupé de l’entre-
tien des Wellington, Halifax et Spitfi re, tous des avions
militaires anglais. Une expérience qui m’a beaucoup
servi par la suite…
Je me souviendrai toujours du 4 juin 1948. Trois
semaines à peine après le départ des Britanniques et
la proclamation unilatérale de l’État d’Israël, tous
les habitants de Yibna 3 ont été expulsés de chez eux
par l’armée israélienne. Fuir et se mettre à l’abri était
notre seule préoccupation. Mais il fallut quitter tout ce
que nous avions, les champs d’agrumes qui faisaient
la fi erté de mon père, les vaches grâce auxquelles ma
mère fabriquait du fromage et du yaourt, les mou-
tons, les chèvres… Mon père a juste eu le temps de
Mouhyeddine
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