PALESTINE Mémoires de 1948 - Jérusalem 2018 | Page 11
CHRONIQUE
D’UN POLITICIDE
par Rony Brauman
On découvrira au fil des pages de ce livre des histoires indivi-
duelles, professionnelles, familiales, heurtées de plein fouet par
la grande Histoire, celle des pogroms, des guerres mondiales,
du colonialisme. Ces personnages, dont le plus jeune est né en
1940 et le plus âgé en 1923, nous racontent à plusieurs voix
la naissance et l’ installation d’une nation qui n’est pas la leur
sur une terre qui leur appartient. Il y a Feissal, dont l’exil en
Syrie a permis les études de philosophie en France, proche de Mah-
moud Darwich et homme d’ idées. De sa vie errante, entre Syrie, France, Liban, Jorda-
nie, Hongrie, il parle avec l’ardeur d’un intellectuel engagé et l’amertume d’un « homme
dont l’existence a été confisquée ». Il y a Samira, de Nazareth, qui vit arriver en 1939,
peu après la fin de la Grande Révolte palestinienne, des femmes polonaises, plusieurs
centaines, qui furent installées par les autorités de la ville. Elle ne connaissait pas leur
religion, c’ était sans importance à Nazareth. Quelques années plus tard, en 1947 avec le
plan de partage de la Palestine, il n’en allait plus de même. Nazareth devait être vidée de
sa population et Samira, comme d’autres qui avaient décidé de rester en dépit d’ informa-
tions et de rumeurs faisant état de massacres et de viols perpétrés par les milices sionistes,
aurait dû être expulsée de chez elle. Mais le commandant de la brigade chargée de cette
mission refusa d’exécuter l’ordre. Il fut relevé de ses fonctions sans tarder. On croisera
d’autres juifs* dans ces histoires de vie, qui plaçaient l’ humanité au-dessus de la nation
et de la confession. Ils ont des héritiers dans l’Israël d’aujourd’ hui et nous apportent un
peu de fraîcheur et d’espoir, denrées dont l’abondance est mesurée ces temps-ci. Haïfa,
ex-capitale de la Palestine du Nord sous mandat britannique, fut l’un de ces lieux où
la coexistence passait par la solidarité, non soumise aux liens ethniques, et la ville en
garde aujourd’ hui la trace. Le récit de Souad, fille d’un prospère entrepreneur agricole
et industriel ayant bâti sa richesse dans les années 1930, nous rappelle que, dans cette
ville et sa région comme ailleurs en Palestine, l’entreprise d’expulsion et de dépossession
s’y déroula malgré tout. Son témoignage relate avec une force singulière le gâchis humain
produit par la victoire du sionisme. Souleyman, le berger, nous relate l’ installation ino-
pinée de caravanes sur ses champs, et la construction de la route qui les coupa un jour en
leur milieu, puis la mise en place de barbelés électrifiés qui lui en interdisaient l’accès.
Sur ses terres restantes, Souleyman peut aujourd’ hui se rendre six jours par an et sous
« protection » militaire israélienne.
Rony Brauman
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