PALESTINE Mémoires de 1948 - Jérusalem 2018 | Page 109
tantisme à toute épreuve : « Ces jours-ci, la mort est
présente dans chacun de nos actes, dans chacun de nos
mouvements et même de notre inertie. Tant qu’à mou-
rir, je préfère mourir en mouvement. »
En 1974, il est l’un des plus fervents défenseurs du
programme en dix points adopté par l’OLP. Celui-ci
repose sur le besoin de créer une Autorité nationale
responsable d’un territoire palestinien libéré, avec un
gouvernement palestinien indépendant et souverain. 17
Mais il n’hésite pas à donner la parole à son adjoint,
Abu Nael qui s’y oppose formellement. « Seule l’his-
toire dira qui de nous a raison ou tort, et ceux qui affir-
ment détenir la vérité sont des ignorants », lance-t-il en
souriant, donnant ainsi confiance aux plus sceptiques
qui se disent que si les leaders de l’OLP sont à ce point
respectueux des avis opposés des autres membres, s’ils
sont capables d’un tel niveau d’autocritique, c’est que la
victoire est certaine.
Avec ses amis Mou’in Bseiso et Mahmoud Darwich,
il passe des soirées à discuter politique et à raconter des
blagues, se moquant de tout et de tous, à commencer
de lui-même, mais en faisant attention à ne jamais bles-
ser personne. « Gagner un rang au sein du Comité, c’est
perdre une place dans la résistance », a-t-il l’habitude
de dire, résumant ainsi ce qu’il pense des hiérarchies
politiques en ajoutant que très bientôt il laisserait tout
tomber pour retourner à l’écriture…
Sa vie familiale s’effondre : Fatima tombe malade.
Au début, les médecins diagnostiquent un cancer,
mais la maladie avance vite et finit par la consumer.
Elle meurt à Londres dans d’atroces souffrances en
1975. Pour Samaa et Salam, 9 et 7 ans, c’est la fin de
l’enfance et le début d’une douleur qui ne les quit-
tera plus jamais. Heureusement, ils peuvent compter
sur leur père : Majed ne délaisse jamais ses enfants
et quitte volontiers sa casquette politique les fins de
semaine pour passer du temps avec eux. Affectueux,
protecteur, il est très vigilant, autant pour leur édu-
cation que pour leur alimentation, leur préparant au
besoin des avocats ou un jus de viande le soir avant de
dormir, pour qu’ils aient les éléments nutritifs néces-
saires. Il trouve en leur compagnie l’essence même de
son engagement, puisqu’il lancera ce message à ses
compagnons de lutte : « Ceux d’entre vous qui veulent
continuer à se battre pour une Palestine libre et triom-
pher devraient regarder dans les yeux des enfants ».
Majed se remarie en 1977 avec Inam Abdel Hadi, qui
lui donnera une fille, Dalia.
Pour tenir le cap, l’OLP a besoin de personnes qui
soient capables de rassembler lorsque la désunion plane
comme un glaive : Majed va parfaitement remplir ce
rôle et c’est pourquoi il sera élu début 1981 au Comité
central, la plus haute instance du Fatah, moins d’un
an avant son assassinat. Majed est choisi parce qu’il a
le bon sens des hommes de la terre, la sensibilité du
poète et l’humour franc et corrosif qu’ont les êtres
entiers. Et parce qu’il est l’un des rares à pouvoir tenir
tête ou apporter la contradiction aux grands leaders du
Fatah qu’il côtoie de très près. Yasser Arafat – dont il
est très proche et qu’il est un des seuls à pouvoir criti-
quer ouvertement – l’écoute avec beaucoup d’attention
et de respect. Majed, disent ceux qui l’ont côtoyé aux
sommets de l’OLP, « les empêchait de tourner en rond
et de penser qu’ils avaient raison sur tout, s’opposant
fermement aux dessous-de-tables et au clientélisme,
et aussi au grand train de vie que certains menaient
sans vergogne ». Majed va même bien au-delà : il crée
l’unité quand d’autres cherchent à diviser, à infiltrer ou
à manipuler le mouvement. Il clame haut et fort ce qui
ressemble à un défi : « Nous ne permettrons à aucun
groupe terroriste et encore moins aux services secrets
étrangers ni même aux États de se cacher derrière les
Palestiniens pour couvrir leurs opérations terroristes. »
C’est sans doute cette hauteur de vues et la com-
plexe richesse du personnage qui font qu’il suffit,
aujourd’hui encore, de prononcer le nom de Majed
Abu Sharar pour que les yeux des Palestiniens s’em-
buent. Des dizaines de lieux portent son nom comme
pour faire un pied de nez à ses assassins 18 . Il est devenu
le symbole d’une certaine dignité palestinienne, incar-
nant l’idée que témoigner est une façon de résister au
crime et qu’en le tuant lui, des milliers d’autres se sont
levés et se lèveront encore pour pouvoir un jour rentrer
chez eux, comme l’écrira le poète Mahmoud Darwich
dans les vers qu’il lui a dédiés 19 . Rares sont les âmes à
la fois rebelles et unificatrices, qui remettent tout en
cause en trouvant la voie de la conciliation, rares sont
ceux qui saisissent les brèches lorsque les discussions se
ferment. Ses assassins l’avaient compris : Majed était de
ceux-là.
Majed
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