PALESTINE Mémoires de 1948 - Jérusalem 2018 | Página 106

Le jeune écrivain compte parmi ses lecteurs plu- sieurs admiratrices. L’une d’elles, que ses amis sur- nommeront « la belle de Naplouse » va même oser se présenter devant le grand-père paternel et le persuader qu’elle serait l’épouse parfaite pour Majed. Elle par- viendra d’ailleurs à convaincre le vieil homme, puisque celui-ci proposera de payer tous les frais du mariage. Mais Majed refuse, il est amoureux de Fatima El Azzeh, une belle brune aux grands yeux verts, originaire d’une famille de Hébron, professeure au camp de Fawwar. Tous les jours, il l’attend à la station de bus pour la rac- compagner chez elle, ce qui lui vaut des critiques acerbes du voisinage. Une fois marié, il décidera de vivre avec Fatima en dehors de la maison parentale, puis il l’em- mènera à Dammam, au Nord-Est de l’Arabie saoudite où se trouvent les plus grandes réserves de pétrole 12 et où il a été recruté pour enseigner l’arabe, l’histoire et la géographie. Le jeune royaume se construit comme un film accéléré grâce aux pétrodollars et les enseignants palestiniens apportent leur savoir-faire à la jeunesse saoudienne (beaucoup de Palestiniens recevront la nationalité saoudienne en échange). Le couple partage un appartement avec d’autres professeurs palestiniens. Leur fille, Samaa (« ciel ») et leur fils Salam (« paix ») naissent à al-Khobar, près de Dammam. En novembre 1964, les professeurs font grève ; c’est une première en Arabie saoudite. Le risque est grand pour les Palestiniens, qui peuvent être renvoyés sur-le-champ, et la plupart des professeurs ont une famille à charge en Jordanie ou à Gaza, une famille qui compte sur eux pour survivre. Majed est repéré comme orateur, il entre dans le comité de grévistes chargé de discuter avec les autorités, où il rencontre Abdel Fateh al-Kalkili (appelé Abu Nael, « père de Nael »), palestinien comme lui. Un an après, il est approché par un homme d’affaires saoudien, qui veut lancer son propre journal Al-Ayam (« Les Jours »), un huit- pages bimensuel 13 , qui doit en principe devenir la vitrine des actions gouvernementales. L’homme d’affaires a besoin d’un directeur de rédaction, Majed tombe à pic. À ceci près que le journal ne deviendra pas une caisse de résonance de l’officialité saoudienne, comme c’était prévu, mais la voix des Palestiniens. L’équipe est formée d’écrivains et de journalistes, tels que Ghaleb Jarrar, Abdel Aziz al-Sayed et Abu Nael, tous des plumes enga- gées. Le ton est à l’esprit décapant, à l’ironie, à la diversité et au partage des points de vue. Mais les lecteurs restent peu nombreux : « Nous étions à la fois les écrivains et les lecteurs », se souvient Abu Nael avec humour. 104 En 1967, Majed retrouve l’une de ses connaissances de l’université de Gaza, Moath A‘abed, qui est depuis un an ou deux le représentant du Fatah 14 à Dammam. Au cours d’une partie de cartes, le politique arrive à convaincre le journaliste-écrivain de rejoindre le mou- vement. Les réunions, interdites, se font en secret dans les appartements des uns et des autres, les militants se relayant pour faire le guet. Et lorsque éclate la guerre des Six-Jours, Majed part en reportage en Syrie où il observe puis participe à un camp d’entraînement du Fatah. En rentrant à Damman, il devient membre du Comité régional de l’Est saoudien. À trente-deux ans, il délaisse son métier de journaliste-écrivain pour s’im- pliquer dans le militantisme politique. Majed n’a pas rejoint un parti politique associé à une classe sociale, comme il le dit lui-même, il s’est « allié à un mouvement révolutionnaire qui se bat pour libérer la Palestine ». Ce n’est pas la même chose. Le Fatah est un mouvement dont la spécificité est de ras- sembler des personnes aux idées très diverses : commu- nistes, socialistes, nationalistes, Frères musulmans… ils sont tous mus par un même objectif 15 et, surtout, leur cause commune ne se cantonne pas au slogan, elle est la base de leur vie quotidienne. Fin 1969, la famille quitte Dammam pour s’ins- taller à Amman en Jordanie. Majed met à profit son talent pour raconter des histoires dans le magazine jérusalémite Al-Ufuq al-jedid (« Le nouvel horizon »). Nazih (Abu Nidal, « père de Nidal »), travaille pour le même journal. Ensemble, les deux complices créent le syndicat des écrivains et journalistes palestiniens et participent à la formation au maniement des mots et des armes de militants venus du monde entier dans un camp près de Salt en Jordanie. Leurs objectifs sont clairs : « une arme ne vaut rien si elle ne sert pas à défendre une cause ; si un combattant arrive à développer sa conscience politique et publique, alors la balle de son fusil touchera tous les aspects de la société, aussi bien le culturel que le politique… ». Mais surtout, les deux hommes proposent aux membres du Fatah un principe innovant : ils veulent que les nouveaux camps d’entraînement excluent toute notion d’ordre ou de punition et que le principe d’autocritique y soit omni- présent. Sur leur lancée, Nazih et Majed créent ensemble un journal interne de l’OLP, Falastine (« Palestine ») dont le tirage quotidien à Amman atteint plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. Ils y sont à la fois reporters de Mémoires de 1948 MEMOIRE_PALESTINE_FR.indd 104 20/02/2019 13:37