PALESTINE Mémoires de 1948 - Jérusalem 2018 | Page 103
La plume, le politique et le pain amer
Majed Abu Sharar, assassiné en 1981
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Majed
Beyrouth
N
Chatila
Damas
LIBAN
Arkoub
SYRIE
Haïfa
Nazareth
Gaza
Rafah
Hébron
Dura
Tel-Aviv
Jaffa
Jérusalem
Naplouse
al-Dahrieh
Alexandrie
ÉGYPTE
LE
JORDANIE
Karak
Tafileh
ISRAËL
PROCHE-ORIENT
Amman
Sur la photo accrochée au-dessus du canapé dans la
maison familiale de Dura 1 , il se tient debout. L’aîné des
garçons semble ailleurs derrière ses lunettes fi nes, le regard
lointain, pensif. Un visage plein d’ âme. Et cette vision
fugace glace le cœur, parce que nous savons, nous, que tout
ce qui émane de lui à ce moment-là, tout son parcours
intérieur, son intégrité comme ses rêves, lui coûtera la vie
quelque trente années plus tard, en 1981.
Majed est ici raconté par sa famille, ses amis d’enfance
et de jeunesse, ses collègues, ses compagnons de militance,
tous ceux qui ont apprécié l’ homme, le poète comme
l’ homme politique. Si nous avons tenté de rassembler en
quelques pages les volets d’une vie aussi dense qu’elle fut
courte, c’est parce qu’ il incarne toute une génération qui
s’est construite avec le sentiment de devoir retourner en
Palestine, de se battre pour cela. Il s’est investi dans la
voie politique, espérant y trouver les moyens de regagner
un semblant de dignité, et a payé cher son engagement
puisqu’ il l’a transformé, comme bien d’autres, en cible
pour Israël. Une cible à abattre.
Son assassinat s’ inscrit dans une longue liste d’ intel-
lectuels et de penseurs de divers mouvements palestiniens
éliminés par l’État sioniste. Dissuasives et déstabilisa-
trices, ces exécutions scrupuleusement planifi ées – souvent
à la voiture ou au colis piégés – apparaissent dès que les
mouvements de résistance palestinienne commencent à
prendre forme dans les années 1960-1970. Elles ont lieu
essentiellement au Liban, où se sont installés les quartiers
généraux de ces organisations, mais aussi en Europe lors
des déplacements des responsables 2 . Elles visent à décapiter
la direction historique de l’OLP 3 .
La mort de Majed coïncide avec un tournant radi-
cal de la situation politique dans la région. L’ invasion du
Liban par Israël en 1982, les divisions dans les rangs du
Fatah puis le départ de l’OLP de Beyrouth pour Tunis
vont mettre fi n à l’ idée, jusque-là prédominante, que
le mouvement national palestinien pouvait représenter
l’avant-garde de la Révolution arabe 4 .
N’ayant pu être mis en terre dans le cimetière familial
de Dura, sa ville natale, Majed Abu Sharar est enterré à
EN
1949
Arabie Saoudite
100 km
Beyrouth, au cimetière des Martyrs de Chatila, aux côtés
de tous les Palestiniens et militants arabes et non arabes,
qui ont payé de leur vie leur engagement militant dans la
cause palestinienne.
Ses amis les plus proches le lui avaient
déconseillé : partir quelques jours à Rome pour parti-
ciper à une conférence réunissant des écrivains, jour-
nalistes et politiques palestiniens, c’était risqué, étant
donné son rôle de membre de la direction du Conseil
militaire du Fatah chargé du district de Hébron, et
également membre du Comité central du Fatah. Mais
Majed avait tendance à n’en faire qu’à sa tête. Même s’il
savait qu’il était une cible potentielle pour le Mossad
comme l’avaient été ses proches collaborateurs, Kamal
Adwan, Ghassan Kanafani et tant d’autres assassinés
dans les années 1970. Il s’était rendu à Rome en com-
pagnie du poète Mahmoud Darwich avec un passeport
algérien, sous le nom de Abbas Zaitouni, et le deuxième
Majed
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