PALESTINE Mémoires de 1948 - Jérusalem 2018 | Page 17
MÉMOIRES VIVES
par Falestin Naili
Il y a des morts qui sommeillent dans des chambres que vous bâtirez. Des morts qui
visitent leur passé dans les lieux que vous démolissez. Des morts qui passent sur les
ponts que vous construirez. Et il y a des morts qui éclairent la nuit des papillons,
qui arrivent à l’aube pour prendre le thé avec vous, calmes tels que vos fusils les
abandonnèrent. Laissez donc, ô invités du lieu, quelques sièges libres pour les hôtes,
qu’ils vous donnent lecture des conditions de la paix avec les défunts.
Mahmoud Darwich, Le Discours de l’Indien rouge, trad. Elias Sanbar.
L
Le 15 mai 2018 des milliers de manifestants palestiniens se rassemblent à la fron-
tière entre la bande de Gaza et Israël pour réclamer leur droit au retour et s’op-
poser au déménagement de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem. Soixante-dix
ans après la Nakba (1948), ces manifestants, dont la majorité a moins de trente
ans, étonnent le monde par la longévité de leur mémoire. Ils clament haut et fort
leur droit de retourner dans des villages proches et des villes voisines de Gaza,
Ramleh, Lydda, Majdal et Jaffa. Ces jeunes gens, qui n’ont pas connu d’autre
réalité que celle de l’occupation militaire, des guerres et des blocus, s’inscrivent
dans un destin collectif dont l’année 1948 constitue le tragique point de départ.
Pour eux, la frontière constitue la limite entre leur vie dans les camps de réfugiés de Gaza et celle
– révolue – des villages et des villes de leurs aïeux, visibles pour certains depuis la frontière. C’est
donc aussi la démarcation entre leur présente réalité et un passé dont ils ont été coupés de force
et auquel ils ne peuvent pas tourner le dos.
En mai 2000, des scènes similaires se sont déroulées après le retrait de l’armée israélienne du
Sud-Liban. La frontière redevenue accessible, après vingt-deux ans d’occupation militaire, fut
le théâtre de visites et même de réunions familiales pour les réfugiés palestiniens installés au
Liban et leurs proches vivant dans le Nord d’Israël 1 . De nombreux réfugiés palestiniens habitent
aujourd’hui tout près du lieu dont ils sont originaires est où il leur est pourtant impossible de
se rendre, ne serait-ce que pour une visite. Ainsi témoigne Sohaila Shishtawi qui vit aujourd’hui
à Amman, à seulement quatre-vingts kilomètres de sa ville natale, Jérusalem : « J’ai déposé une
demande de visa à l’ambassade d’Israël en Jordanie pour aller voir mon neveu à Jérusalem, mais
on me l’a refusé. Je ne comprends pas : quel danger peut représenter pour Israël une Palestinienne
de quatre-vingt-huit ans, haute de 1,40 m et pesant 38 kg ? »
Néanmoins, depuis 1948, les « absents » font sentir leur présence, même si cette dernière ne
peut être physique. Dans les dix-huit récits de vie présentés ici se déclinent différentes manières
1. M. A. Khalidi (dir.), Manifestations of Identity: The Lived Reality of Palestinian Refugees in Lebanon, Beyrouth, Institute for
Palestine Studies/ Ifpo, 2010.
Falestin Naili
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