PALESTINE Mémoires de 1948 - Jérusalem 2018 | Page 116
nique, d’envahir et d’occuper toute la bande de Gaza
et le Sinaï. Du coup, les nouveaux maîtres de Gaza ont
ouvert la chasse aux fedayin, et ont passé les camps de
réfugiés au peigne fin, l’un après l’autre.
Je me souviens très bien du jour où les soldats
israéliens sont entrés dans le camp de Rafah : c’était
le 12 novembre 1956. Ils ont donné l’ordre à tous les
hommes âgés de 15 à 60 ans de se réunir dans une
école. Nous étions tous debout, les mains levées ; les
soldats passaient dans les rangs en nous donnant un
coup sur la tête, ils faisaient ça même aux anciens, pour
les humilier. Ils ont ensuite perquisitionné les maisons,
et ont trouvé environ 200 hommes qui ne s’étaient pas
rendus à l’école ; beaucoup ont été exécutés sur place
et enterrés du côté de la plage ; parmi eux nous avons
reconnu les fedayin à cause de la marque du béret
sur leurs cheveux ; d’autres ont fini dans la prison de
Chatta 28 en Israël.
En 1957, l’année où l’armée israélienne s’est désen-
gagée de Gaza, je suis devenu instituteur à l’Unrwa.
Je racontais la Palestine à mes élèves, leur parlais de
nos traditions, du plan de partage, de ses conséquences.
C’était important de leur montrer la carte de la Pales-
tine, de leur dire d’où ils venaient. En même temps
que j’enseignais, je préparais des examens d’entrée à
l’université du Caire, mon objectif étant d’y étudier la
langue et la littérature arabe.
À Gaza, la plupart des hommes se mariaient à
vingt ans. Mais moi, je devais d’abord rembourser la
dette de 120 livres que mon père avait contractée en
1947 auprès de Giorgio le chrétien. Je devais mettre de
l’argent de côté. C’est pourquoi je ne me suis préoccupé
de la question que lorsqu’une connaissance m’a pro-
posé de me donner sa fille en mariage. J’avais déjà 25
ans, et j’ai immédiatement dit oui. Je n’avais pas ima-
giné que toute la famille m’imposerait ses conditions :
il fallait qu’elle finisse ses études (j’étais d’accord), je
devais payer un douaire de 400 livres (je n’en avais que
300, je prévoyais d’emprunter 29 ), mais chaque fois que
j’acquiesçais, une critique surgissait qui remettait le
mariage en cause : une fois c’était parce que j’étais trop
maigre, une autre fois je n’avais pas assez de cheveux
pour me faire une raie. J’ai fini par laisser tomber.
Deux années plus tard, au Caire, alors que je déam-
bulais avec un ami le long du Nil en lui racontant mes
déboires, il m’annonça que son frère avait une fille.
Cela faisait deux ans que nous nous connaissions, et je
ne lui avais jamais posé la question, car ça ne se faisait
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pas. Un mois plus tard, comme le veut la tradition, j’ai
envoyé ma tante pour voir la jeune femme et me dire
ce qu’elle en pensait. Ma tante était moins pressée que
ma mère de me voir marié, alors je lui faisais davantage
confiance. Elle est revenue très satisfaite et au coucher
du soleil je me suis rendu à mon tour au camp de Khan
Younès à Gaza, où habitait la famille de la jeune femme
qui avait dix ans de moins que moi. Elle est arrivée
discrètement et m’a servi le café. Alors, sans être dans le
péché, j’ai levé la tête et l’ai regardée. Cette nuit-là, j’ai
dormi dans la maison de son père, ce qui a fait de moi
son fiancé officiel. Le lendemain matin, elle est reve-
nue me servir un café, en plein jour cette fois. Et j’ai
senti qu’elle me plaisait beaucoup, de jour comme de
nuit. Accompagné de mon père, j’ai demandé sa main
et tout le monde était ravi. La fiancée était heureuse
de la nouvelle, elle aussi. Nous nous sommes mariés
légalement le 24 août 1963. Nous ne nous sommes plus
jamais quittés et nous avons eu six garçons et six filles.
On a été très heureux ensemble. Tellement heureux.
Bien que la bande de Gaza ait été sous autorité
égyptienne jusqu’en 1967, les forces armées interna-
tionales étaient présentes partout. La région est deve-
nue une plaque tournante du commerce des objets de
luxe 30 . C’est dans ce contexte que l’Égypte approuva en
1964 la création au Caire de l’OLP (Organisation de
libération de la Palestine) et l’ouverture de camps de
formation militaire à Gaza 31 .
En 1967, j’étais en quatrième année d’études de
littérature arabe au Caire 32 . J’attendais que la Croix-
Rouge me remette une autorisation pour retourner à
Gaza, mais le laissez-passer n’arrivait pas, et j’ai com-
pris que le scénario de 1948 risquait fort de se répéter.
J’avais raison… L’exode de 1967, nous l’avons appelé
al-Naksa (le « recul », pour nous, par rapport à al-Nakba,
la « catastrophe » de 1948). D’Égypte, j’ai pris l’avion
pour la Jordanie qui était disposée à accueillir des réfu-
giés de la bande de Gaza. Et j’ai demandé à mes parents,
femme et enfants de m’y rejoindre. Ils ont facilement
trouvé un chauffeur qui, moyennant finances, leur a
fait traverser l’État sioniste en camionnette : les auto-
rités israéliennes voulaient vider Gaza, elles facilitaient
tous les départs. Puis, les miens sont passés par le pont
du Roi Hussein 33 pour arriver en Jordanie où l’Unrwa
ouvrait des camps pour les Palestiniens en provenance
de Gaza et de Cisjordanie. J’étais instituteur au sein
de l’agence et on m’a muté de Gaza à Irbid (Nord de
la Jordanie), ce qui nous a assuré un petit revenu, de
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