dossier du mois
M . Amar Makhlouf , Expert en énergie « Entre panique et internationalisation de Sonatrach , quelle sortie de crise ? »
« Ce que l ’ Algérie vit aujourd ’ hui est incontestablement une crise économique . Le pétrole n ’ en est qu ’ un vecteur poussé à l ’ extrême . La spécialisation internationale du pays est flagrante , et je comprends que les membres du gouvernement qui sont en charge de la décision , paniquent un peu , parce que précisément le secteur moteur est en quelque sorte en panne . Je crois cependant que ce moteur est d ’ autant plus en panne , que le pilier , l ’ acteur , le support principal que représente Sonatrach aujourd ’ hui connait d ’ énormes problèmes . Je veux parler du recul dans ses opérations des gisements . A Sonatrach aujourd ’ hui vous le savez bien , l ’ association repose essentiellement sur les opérations de gisements . Je ne parle pas pour la propriété , le partage de la production etc . Cela est défini par la loi . Sonatrach est dans une logique de ce que j ’ appellerai « une fuite en avant »… Aller vers l ’ internationalisation des activités du groupe . Que signifie l ’ internationalisation lorsque le sous-sol du territoire national n ’ est exploré qu ’ à hauteur de 10 ou de 15 % ? Comment peut-on parler d ’ aller à l ’ international vers les marchés extérieurs , d ’ aller concurrencer les opérateurs internationaux sur leurs propres marchés ? Je suis réticent à cette démarche . Le poids du secteur des hydrocarbures qui à force d ’ être évalué en importance au sein de l ’ économie , est en train de développer sa propre logique aujourd ’ hui . C ’ est dramatique . Quand on voit le volume des investissements qui est un indicateur fondamental pour l ’ économie , politique en plus ! 100 milliards de dollars pour le quinquennat actuel pour le secteur des hydrocarbures , c ’ est énorme ! Le reste étant partagé entre les autres secteurs comme l ’ agriculture , les services , l ’ éducation etc . Il y a un problème central de reprise en main de la Sonatrach . Le groupe est en train d ’ opérer un recul dans ses activités qui constituent son cœur de métiers , dans les activités pétrolières et gazières . Sonatrach est à mon avis , en train de perdre la main sur les activités qui sont sa raison d ’ être . De plus , cette option ne figure pas dans sa vocation règlementaire , Sonatrach est là pour explorer et développer la production des hydrocarbures sur le territoire national .
Scandales à répétitions … et nouveau staff
Il y a en effet une rupture psychologique fondamentale parmi les personnels . Les scandales à répétition ont eu un effet désastreux sur le moral des cadres . Sonatrach est quasiment figée dans la prise de décision . Depuis le mois de mai 2015 , le nouveau staff est bienvenu , car il faut bien renouveler les équipes dirigeantes du groupe . Le staff apportera certainement un souffle nouveau , un regard exogène sur le fonctionnement de l ’ entreprise . Il faut savoir que le modèle de gestion est déjà transmis depuis des décennies à travers le passage des personnels en interne . Il y a déjà cette transmission depuis des années et le nouveau staff peut apporter un changement , car il est nouvellement introduit dans le lobby pétrolier .
Concernant les IDE et l ’ apport des sociétés internationales partenaires de Sonatrach
Il faut une maitrise nationale du processus d ’ investissement quelque soit le secteur et c ’ est du ressort du gouvernement , le gouvernement est l ’ autorité d ’ arbitrage et de régulation de l ’ économie . Laisser l ’ ouverture aux partenaires , cela signifie que l ’ on donne l ’ option et l ’ opportunité aux investisseurs étrangers de se structurer sur le marché selon ses objectifs et suivant ses propres intérêts . Il faut une ouverture , il faut certes collaborer à l ’ international , à condition que ce processus soit conçu et animé par une autorité centrale . Il faut qu ’ il y ait une maitrise .
Le Conseil de l ’ énergie ne se réunit que rarement
Cette absence du Conseil de l ’ énergie est un problème , il faut le ressusciter le plus rapidement dans l ’ intérêt des gouvernants actuels , parce qu ’ ils auront cette légitimité , cette caution etc . S ’ il y avait un Conseil national de l ’ énergie qui fonctionnait , qui se réunissait de manière régulière , on aurait limité les effets collatéraux des scandales récents . Les impacts auraient été à moindre échelle . On a vu une certaine opacité s ’ installer et cela a eu un impact sur le fonctionnement des entités économiques au sein du groupe . S ’ il y avait eu un Conseil de l ’ énergie qui se réunissait périodiquement , on aurait peut-être pu éviter les retombées négatives des scandales qui ont éclaboussé la Sonatrach ces dernières années . Moi-même , j ’ étais membre de ce conseil dans les années 90 . Le Conseil national de l ’ énergie endossait la politique , il dessinait la perspective , donnait le tempo . Il est là pour orienter , il prend la responsabilité morale , politique , économique de définir ses choix et de le dire expressément . A charge pour le secteur de l ’ energie de suivre et d ’ appliquer cette politique définie par le Conseil , qui lui va endosser et prendre la responsabilité morale , politique de ses choix . Nous n ’ avons plus cette autorité d ’ animation qui est responsable politiquement . Et donc à défaut , il s passe ce qui s ’ est passé au sein de Sonatrach . »
OIL & GAS business / NUMÉRO 08 / octobre 2015 / 27