NINA SIMONE - Little Girl Blue FR | Page 5

Avant de croquer le fruit défendu , le premier acte humain fut une cérémonie de dénomination au cours de laquelle Adam nomma chaque espèce animale , avant d ’ attribuer un nom à la femme qui avait été créée pour le soulager et partager sa solitude . Donner un nom est un signe de pouvoir , et parfois de propriété , physique ou intellectuelle . Lorsqu ’ une nouvelle espèce est identifiée , on lui donne souvent le nom de son découvreur , comme si par exemple Georg Wilhelm Steller était réellement propriétaire des eiders , des geais , des otaries et des rhytines de mer qui portent son nom . Lorsque les premiers colons débarquèrent sur la terre vierge et verte du Nouveau Monde , ils lui donnèrent le nom d ’ une reine , d ’ un roi , ou tout simplement de l ’ homme qui avait financé leur voyage . Mais lorsque les colons finissent par céder la place à un gouvernement autochtone , ces mêmes noms sont remplacés par ceux des héros révolutionnaires indigènes de même que les lieux qui n ’ avaient aucun lien durable avec Londres , Paris ou Berlin .

Le mythe de l ’ Amérique repose largement aussi sur l ’ acte de nommer ou de renommer . Dans l ’ Ancien Monde , l ’ attribution d ’ un nom était une question de continuité , d ’ affirmation et de confirmation de lignées qui remontaient à plusieurs siècles . En Amérique , l ’ attribution de noms revêt un aspect différent , comme en témoignent les noms « Carolina », « Virginia » et « Georgia » (« Louisiana » si l ’ on inclut la partie française , « Los Angeles » et « San Francisco » si l ’ on inclut la partie ibérique ), les nouveaux territoires étaient traités comme s ’ ils faisaient partie du Surrey , de l ’ Ile de France , ou de manière plus idéaliste (« Philadelphia »), comme si le nouveau pays était vraiment l ’ expression d ’ un principe universel d ’ amour fraternel . Il y a néanmoins des noms qui témoignent d ’ une présence autochtone ( Milwaukee , Minnesota ,
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