Naturalia : panorama des collections bas-normandes d'histoire naturel naturalia-livre | Página 8

UN PROJET AMBITIEUX POUR LES COLLECTIONS RÉGIONALES D'HISTOIRE NATURELLE Alors que la connaissance en biodiversité n’a jamais été aussi importante, des pans en- tiers restent encore à découvrir et à explorer. Les initiatives se multiplient un peu partout sur le territoire national pour permettre d’affiner la répartition des espèces et des habitats qui les abritent. Mais peu d’entre elles mettent en valeur le travail de leurs prestigieux devanciers, notamment via l’utilisation des collections d’histoire naturelle. Considérées comme révolues par certains, ces collections contiennent pourtant des infor- mations essentielles pour permettre la compréhension de phénomènes qui sont aujourd’hui prégnants, tels que les impacts du réchauffement climatique sur la répartition des espèces. Elles sont aussi des sources de référence inestimables pour obtenir des séries temporelles longues dont beaucoup de naturalistes et de scientifiques regrettent souvent l’absence. Au-delà du seul regard scientifique, ces collections représentent également un patri- moine historique et culturel, témoignant ainsi de l’évolution des techniques et des savoir- faire. Enfin, dimension parfois oubliée, l’art n’est pas absent car beaucoup "d’objets" conservés constituent des témoignages émouvants de la perception de la nature au fil du temps. Dans ce contexte, les collections des institutions en région représentent un patri- moine remarquable qu’il convient absolument de protéger et de valoriser. Ces collections ont été d’abord constituées afin de comparer les organismes entre eux, et pouvoir distinguer le même (espèce connue) de l’autre (espèce nouvelle). Mais une bonne comparaison repose sur la notion d’archives : il faut savoir garder les échantillons collectés autrement que dans le souvenir d’une personne. Les techniques de préservation se sont alors déployées, entre les XVII e et XIX e siècles essentiellement, des séchages simples (herbier ou collection entomologique, coquillages, minéralogie, etc) jusqu’aux savoir-faire les plus complexes (ostéologie, taxidermie, injections, plastination). Progressivement, les techniques ont permis de s’affranchir du strict respect des caractères à comparer, pour chercher à resti- tuer la beauté de la nature. Les mises en scène plus ou moins élaborées témoignent de ces efforts, mais disent aussi la manière dont notre société a perçu, voire conçu, la Nature au fil du temps : félins aux gueules ouvertes, rapaces inquiétants ou primates agressifs du dernier quart du XIX e siècle évoquent le triomphe de l’Homme sur la nature sauvage et inorganisée, tout au long des galeries des musées de sciences. Les naturalisations actuelles, au contraire, insistent sur une approche paisible de l’animal, comme si l’Homme ne voulait plus le déran- ger et se réconcilier avec une nature qu’il perturbe encore tellement. Les collections natura- lisées seraient-elles le reflet de nos idéologies ? Conserver ces collections relève d’équilibres : matériel d’abord, car la matière organique n’est pas faite pour durer et que nombre de techniques ne se sont transmises qu’oralement ; financier, parce que le nombre des spécimens à conserver, ne serait-ce qu’en France, est très important ; intellectuel, enfin, parce que ces collections, entre passé et avenir, ont participé et participent encore à notre capacité de comprendre le monde qui nous entoure ; elles sont en cela une composante de notre culture. À nous de savoir les préserver. Le projet Naturalia est une superbe initiative dont il faut chaudement féliciter les ini- tiateurs. Au-delà des enjeux scientifiques déjà évoqués, ce projet a pour objet de créer les conditions d’une conservation optimale des collections tout en favorisant leur valorisa- tion notamment vis-à-vis du grand public. L’ouvrage que vous avez sous les yeux est une superbe vitrine pour la promotion des collections naturalistes bas-normandes dont on ne peut qu’être surpris de la richesse et de la diversité. Sa lecture suscitera, sans nul doute, l’envie de découvrir ces sites. Nous formons l’espoir qu’il puisse favoriser la mobilisation de moyens financiers publics et privés pour permettre non seulement l’entretien et la mise en valeurs des collections existantes mais aussi et peut être surtout pour faciliter la poursuite de l’acquisition de fonds nouveaux, leur valorisation auprès du public et leur intégration dans des bases de données informatisées performantes. Jean-Philippe SIBLET Directeur du Service du Patrimoine Naturel Muséum national d’Histoire naturelle Jacques CUISIN Ingénieur-Préventiste, Direction des Collections Muséum national d'Histoire naturelle