UN PROJET AMBITIEUX POUR LES COLLECTIONS
RÉGIONALES D'HISTOIRE NATURELLE
Alors que la connaissance en biodiversité n’a jamais été aussi importante, des pans en-
tiers restent encore à découvrir et à explorer. Les initiatives se multiplient un peu partout
sur le territoire national pour permettre d’affiner la répartition des espèces et des habitats
qui les abritent. Mais peu d’entre elles mettent en valeur le travail de leurs prestigieux
devanciers, notamment via l’utilisation des collections d’histoire naturelle.
Considérées comme révolues par certains, ces collections contiennent pourtant des infor-
mations essentielles pour permettre la compréhension de phénomènes qui sont aujourd’hui
prégnants, tels que les impacts du réchauffement climatique sur la répartition des espèces.
Elles sont aussi des sources de référence inestimables pour obtenir des séries temporelles
longues dont beaucoup de naturalistes et de scientifiques regrettent souvent l’absence.
Au-delà du seul regard scientifique, ces collections représentent également un patri-
moine historique et culturel, témoignant ainsi de l’évolution des techniques et des savoir-
faire. Enfin, dimension parfois oubliée, l’art n’est pas absent car beaucoup "d’objets"
conservés constituent des témoignages émouvants de la perception de la nature au fil du
temps. Dans ce contexte, les collections des institutions en région représentent un patri-
moine remarquable qu’il convient absolument de protéger et de valoriser.
Ces collections ont été d’abord constituées afin de comparer les organismes entre eux, et
pouvoir distinguer le même (espèce connue) de l’autre (espèce nouvelle). Mais une bonne
comparaison repose sur la notion d’archives : il faut savoir garder les échantillons collectés
autrement que dans le souvenir d’une personne. Les techniques de préservation se sont
alors déployées, entre les XVII e et XIX e siècles essentiellement, des séchages simples (herbier
ou collection entomologique, coquillages, minéralogie, etc) jusqu’aux savoir-faire les plus
complexes (ostéologie, taxidermie, injections, plastination). Progressivement, les techniques
ont permis de s’affranchir du strict respect des caractères à comparer, pour chercher à resti-
tuer la beauté de la nature. Les mises en scène plus ou moins élaborées témoignent de ces
efforts, mais disent aussi la manière dont notre société a perçu, voire conçu, la Nature au fil
du temps : félins aux gueules ouvertes, rapaces inquiétants ou primates agressifs du dernier
quart du XIX e siècle évoquent le triomphe de l’Homme sur la nature sauvage et inorganisée,
tout au long des galeries des musées de sciences. Les naturalisations actuelles, au contraire,
insistent sur une approche paisible de l’animal, comme si l’Homme ne voulait plus le déran-
ger et se réconcilier avec une nature qu’il perturbe encore tellement. Les collections natura-
lisées seraient-elles le reflet de nos idéologies ?
Conserver ces collections relève d’équilibres : matériel d’abord, car la matière organique
n’est pas faite pour durer et que nombre de techniques ne se sont transmises qu’oralement ;
financier, parce que le nombre des spécimens à conserver, ne serait-ce qu’en France, est très
important ; intellectuel, enfin, parce que ces collections, entre passé et avenir, ont participé
et participent encore à notre capacité de comprendre le monde qui nous entoure ; elles sont
en cela une composante de notre culture. À nous de savoir les préserver.
Le projet Naturalia est une superbe initiative dont il faut chaudement féliciter les ini-
tiateurs. Au-delà des enjeux scientifiques déjà évoqués, ce projet a pour objet de créer les
conditions d’une conservation optimale des collections tout en favorisant leur valorisa-
tion notamment vis-à-vis du grand public. L’ouvrage que vous avez sous les yeux est une
superbe vitrine pour la promotion des collections naturalistes bas-normandes dont on ne
peut qu’être surpris de la richesse et de la diversité. Sa lecture suscitera, sans nul doute,
l’envie de découvrir ces sites. Nous formons l’espoir qu’il puisse favoriser la mobilisation
de moyens financiers publics et privés pour permettre non seulement l’entretien et la
mise en valeurs des collections existantes mais aussi et peut être surtout pour faciliter la
poursuite de l’acquisition de fonds nouveaux, leur valorisation auprès du public et leur
intégration dans des bases de données informatisées performantes.
Jean-Philippe SIBLET
Directeur du Service du Patrimoine Naturel
Muséum national d’Histoire naturelle
Jacques CUISIN
Ingénieur-Préventiste, Direction des Collections
Muséum national d'Histoire naturelle