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Rue des Beaux-Arts n ° 79- Avril – Mai – Juin 2022
Dorian Gray , sinon la vibrante apologie de la beauté fascinante d ’ un jeune-homme qui se refuse à la perdre en vieillissant . Dorian a la beauté du diable , et c ’ est pour ainsi dire un pacte avec le Malin ( jamais nommé ou évoqué ici ) qu ’ il conclut , comme Faust , pour la conserver . Et pourtant , si Wilde fait ici l ’ éloge de la beauté , il pose aussi une question essentielle : qu ’ est-ce que la beauté quand elle n ’ est qu ’ une apparence , une enveloppe vide ? On pourrait à propos de ce roman paraphraser la célèbre citation de Rabelais dans « Pantagruel » en remplaçant « science » par « beauté » : « Beauté sans conscience n ’ est que ruine de l ’ âme ». Et c ’ est quand Dorian , rattrapé par la flétrissure des ans et par celle de ses crimes , se transforme en monstre hideux , qu ’ on peut le penser délivré de la malédiction , puisqu ’ en assassinant la Beauté , il a retrouvé – peut-être – une sorte d ’ innocence et de liberté . En brisant le sort par la violence de son acte irrémédiable , cet homme qui gît dans son sang , cet être repoussant qu ’ on ne reconnaît qu ’ à sa bague , vient malgré tout , par son sacrifice , de retrouver un semblant de vérité .
Le thème du monstre à double visage a été exploité par d ’ autres auteurs en des variations différentes . Il arrive que le monstre cache sous sa difformité une âme bonne et lumineuse . C ’ est le cas du Quasidomo de Victor Hugo , ou du Prince transformé en Bête dans le conte de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont 1. Chez Stevenson , et son « Docteur Jekyll et Mister Hyde », la laideur est au contraire la marque diabolique de la transformation , sous l ’ effet d ’ une drogue , du bon docteur Jekyll , respectable philantrope , en infâme criminel . Ici , la laideur est la
1 « La Belle et la Bête a connu plusiieurs versions , dont celle d ’ Apulée ou de Gabrielle Suzanne de Villeneuve . Mais c ’ est celle de Mme de Beaumont qui reste la plus célèbre .
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