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Rue des Beaux-Arts n ° 78- Janvier – Février – Mars 2022
dépréciative de Gide 1. Cette phrase a été reproduite à l ’ envi , répétée et déformée et , pendant des années , elle a fini par ancrer dans la mémoire collective que Wilde n ’ était pas un grand écrivain , ternissant ainsi sa réputation pour longtemps . Or , nous n ’ avons que le témoignage de Gide pour authentifier cette phrase . Nul ne sait s ’ il l ’ a vraiment prononcée , et s ’ il l ’ a fait , avec quelle intention . Nul ne sait s ’ il ne s ’ agissait pas tout simplement dans sa bouche d ’ une boutade ou d ’ un énième paradoxe que Gide prit pour argent comptant , en oubliant que Wilde était toujours à l ’ affut d ’ une belle formule ou d ’ un bon mot , y compris à son propre détriment . Lord Alfred Douglas écrira , dans son livre « Oscar Wilde et quelques autres » : « Wilde s ' amusait à dire les plus grosses blagues du monde au pauvre Gide ; et Gide , jobard , avalait tout ce que Wilde lui disait . Je reprochais un jour à Wilde de se moquer ainsi de Gide et lui dis : « pourquoi es-tu si rosse avec lui ; c ' est un bon type . » Oscar me répondit : « Mon cher Bosie , André Gide est un égoïste sans ego . Je me demande aussi en vertu de quel droit Gide déverse sur moi sa réprobation morale ; c ' est un protestant français , qui est bien la pire sorte de protestants , à l ’ exclusion , évidemment , des protestants irlandais .» 2
De même , nous n ’ avons que le témoignage de Gide , quand il raconte dans « Si le grain ne meurt », l ’ épisode scabreux du petit musicien du café maure , que Gide dévorait des yeux , où Wilde aurait joué les entremetteurs , le poussant à franchir le pas en cédant à son désir .
1 Gide rapportera une première fois cette phrase dans une lettre à sa mère , écrite d ’ Alger le 30
janvier 1895 . Il la répétera au début d ’ In memoriam , écrit en 1901 , après la mort de Wilde ( L ’ Ermitage , juin 1902 , repris l ’ année suivante à la fin de Prétextes ).
2 Lord Alfred Douglas , Oscar Wilde et quelques autres , Gallimard – Les contemporains vus de près – 1930 – chapitre XXIX .
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