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Rue des Beaux-Arts n ° 78- Janvier – Février – Mars 2022
Max ne dynamitait rien du tout , au pire il persiflait . Ses livres , petites satires , dessins et mots d ’ esprit chics , décadents , méprisants , étaient gentiment acides mais si bien tenus . Max était chez lui dans les aquariums surchargés des grands restaurants , il était de ceux que l ’ on imagine se réveiller gantés .
A mille lieux de l ’ originalité érotique et morbide de Beardsley , qu ’ il fréquentait et avec lequel il collaborait , Max fut un observateur détaché qui pourrait se confondre avec le narrateur de La Recherche mais à qui il manquerait la cruauté , l ’ avidité , le noir et l ’ acide pour creuser les ombres de ce monde de guipures et de robes à tournure .
Sauf quand il était question de Wilde .
Beerbohm était-il homosexuel comme la plupart des garçons qui entouraient Wilde ? Ses deux mariages et ses déclarations un peu surfaites sur ses conquêtes féminines ne seraient pas incompatibles avec une homosexualité latente , peu ou mal vécue , niée ou refoulée . Si oui , si non , Max Beerbohm aura pris soin de garder ses secrets et la question n ’ est pas de les fouiller mais de comprendre comment un jeune artiste , ami de Wilde , a pu dessiner ce qui deviendra la justification d ’ une monstruosité .
Une photo prise à Merton College , Oxford , en 1892 , le montre de trois quart , vêtu de blanc , jeune dandy sans effusion de jeunesse et seul du groupe d ’ étudiants à ne pas regarder l ’ objectif du photographe . Il est tourné vers celui qui sera son ami pour la vie , Reginald Turner . Il ne le regarde pas , il le gobe des yeux tandis que
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