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Rue des Beaux-Arts n ° 77- Octobre-Novembre- Décembre 2021
lutter , et qui confine presque à la folie . Elle , la vierge , la sanstache , désire ardemment le corps de Iokanaan , jusqu ’ à la dévoration . Peut-elle son âme aussi , l ’ âme austère et implacable de celui qui annonce la venue du Seigneur ? Ce qu ’ elle désire pardessus tout , c ’ est son amour , peut-être parce qu ’ il est l ’ inatteignable , celui qui ne se laissera jamais suborner . Elle le fera mettre à mort par désespoir , parce qu ’ il l ’ a dédaignée , et , dans une dernière scène macabre , s ’ emparant de la tête décapitée , elle embrassera la bouche qui s ’ était refusée à elle : « Ah , tu n ’ as pas voulu me laisser baiser ta bouche , Iokanaan . Eh bien , je la baiserai maintenant . [...] J ’ étais chaste et tu as rempli mes veines de feu ... Ah ! Ah ! Pourquoi ne m ’ as-tu pas regardée , Iokanaan ? Si tu m ’ avais regardée , tu m ’ aurais aimée . Je sais bien que tu m ’ aurais aimée , et le mystère de l ’ amour est plus grand que le mystère de la mort . Il ne faut regarder que l ’ amour ».
Epouvanté , Hérode la fera exécuter en l ’ écrasant sous les boucliers de ses soldats . Double mort , et même triple , si l ’ on prend en compte le suicide du jeune Syrien , lui aussi dévasté par un amour impossible pour la princesse qui l ’ ignore .
Eros et Thanatos à jamais liés , comme ils l ’ étaient déjà dans une des premières pièces de Wilde , « La Duchesse de Padoue », où les deux héros , la Duchesse et son amant Guido meurent en prison en échangeant un baiser empoisonné . On peut encore mentionner le dénouement de « Véra ou les nihilistes », œuvre d ’ apprentissage , où la révolutionnaire Véra , chargée d ’ assassiner le jeune tsar dont elle est éprise , se poignarde à sa place par amour pour lui .
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