n°77 | Page 44

Rue des Beaux-Arts n ° 77- Octobre-Novembre- Décembre 2021
travaille à les raffiner 1. Ainsi , Wilde écrit à propos de Lord Goring : « C ’ est le premier philosophe bien habillé de l ’ histoire de la pensée . » 2On comprend dès lors de quelle manière le dandy incarne cet idéal d ’ une vie esthétique en soumettant sa propre existence à des principes artistiques :
« Il est certain que pour lui la Vie était le premier et le plus grand des arts , auxquels tous les autres ne semblaient être qu ’ une préparation . Bien entendu la mode , qui confère à ce qui est en réalité une fantaisie une valeur provisoirement universelle , et le dandysme qui , à sa façon , tente d ’ affirmer la modernité absolue de la beauté , le fascinaient . Sa façon de s ’ habiller et les styles particuliers qu ’ il affectait de temps à autre influaient fortement sur les jeunes élégants qu ’ on voyait aux bals de Mayfair ou derrière les croisées des clubs de Pall Mall ; ils copiaient tout ce qu ’ il faisait , et tentaient de reproduire le charme fortuit de ses gracieuses coquetteries de toilette , même si pour lui elles n ’ étaient qu ’ à demi sérieuses . (…) Il désirait pourtant , au plus profond de son coeur , être plus qu ’ un simple arbiter elegantiarum qu ’ on consulterait sur la manière de porter un bijou , de nouer une cravate ou de manier une canne . Il cherchait à inventer un nouveau système de vie qui reposait sur une philosophie raisonnée et des principes bien organisés , et qui
1 W . Pater , La Renaissance , ibid ., p . 60 : « Ce principe vaut pour tout ce qui relève à
quelque degré du domaine de l ’ art : l ’ ameublement de nos maisons , le costume , mais aussi la vie , les gestes , la conversation , le détail des relations quotidiennes . Aux yeux du sage , ils peuvent revêtir une suavité , un charme qui naît de la façon dont on les exécute , qui les rend précieux en eux-mêmes . Il nous faut bien reconnaître la séduction légitime de ce qu ’ on appelle la mode d ’ une époque : elle élève les banalités de la conversation , des manières , du costume , jusqu ’ à leur donner « une fin en soi », tant elle leur apporte une grâce et un attrait mystérieux . »
2
O . Wilde , Un mari idéal , trad . J . -M . Deprats , in Oeuvres , ibid ., p . 1393 .
44