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Rue des Beaux-Arts n ° 77- Octobre-Novembre- Décembre 2021
lamentation face à la mort , que la monotonie de cette émotion qui s ’ étendrait trop longtemps au point de le prendre au piège d ’ une interminable réitération . Il s ’ agit alors pour le dandy de préférer des émotions feintes , artificielles et contrefaites aux émotions spontanées et trop naturelles et qui s ’ imposent à nous comme de l ’ extérieur . Si , comme le proclame Lord Henry , « le naturel n ’ est qu ’ une pose , et la pose la plus irritante que je connaisse » 1, alors il n ’ est que des comportements qui relèvent de la convention et qu ’ il convient de choisir en fonction de leur élégance . Une telle attitude lui permet d ’ échapper à une existence répétitive et lassante et de mener une vie soucieuse d ’ émotions changeantes et plus intenses , travaillant encore à diversifier et accroître toujours plus la gamme de ses sensations plutôt que de se contenter de celles que peut offrir une existence ordinaire .
Wilde à travers son personnage met donc en scène une des idées fortes de l ’ esthétique de Walter Pater , qui implique la quête de sensations nouvelles . Le héros du roman , qui se trouve investi d ’ une conscience de soi par la médiation de l ’ art et l ’ exhortation du dandy à profiter de sa jeunesse et de sa beauté , se consacre dès lors à faire de sa vie une oeuvre d ’ art par l ’ élaboration de sensations nouvelles . Ainsi , Dorian Gray dit à Lord Henry : « Vous m ’ avez rempli d ’ un désir violent de tout connaître de la vie . Après notre rencontre , pendant des jours entiers , j ’ ai cru sentir quelque chose palpiter dans mes veines . En flânant dans le Parc ou en parcourant Piccadilly , je regardais tous les êtres que je croisais et je me demandais , plein d ’ une folle curiosité , quel type de vie ils menaient . Certains me fascinaient . D ’ autres
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O . Wilde , Le Portrait de Dorian Gray , ibid ., p . 353 .
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