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Rue des Beaux-Arts n ° 77- Octobre-Novembre- Décembre 2021
comédiennes de théâtre ont une réputation de femmes légères , souvent entretenues . Dans le petit théâtre miteux où elle joue , au fond d ’ un quartier crasseux de l ’ East End , elle est la perle rare qui ignore la laideur ambiante et vit dans ses rêves . Elle n ’ a que dixsept ans et rien de l ’ a encore pervertie , ni salie . Dorian Gray fait partie de ses rêves . Elle ne sait rien de lui , pas même son nom , et elle s ’ est éprise d ’ une image fausse qui ressemble à son idéal : « Elle était libre dans la prison de sa passion . Son prince , le Prince Charmant était avec elle [...] Elle avait envoyé son âme à sa recherche et elle le lui avait ramené . [...] Je sais pourquoi je l ’ aime . Je l ’ aime parce qu ’ il ressemble à ce que l ’ Amour lui-même devrait être ».
La passion de Sibyl ne s ’ ancre pas dans la réalité mais dans un univers de contes de fée où le Prince Charmant surgit sur son blanc destrier pour emporter l ’ innocente fiancée vers un destin fabuleux . Celle de Dorian ( du moins ce qu ’ il prend au début pour de la passion : « De sa petite tête à ses petits pieds , elle est absolument et totalement divine [...] Mon Dieu , Harry , quelque culte j ’ ai pour elle ! ») n ’ est pas plus raisonnée . Elle aussi plonge ses racines dans un monde illusoire , celui du théâtre , où Sibyl incarne chaque soir une héroïne différente . Mais quand Sibyl , qui connait à présent le vrai sens de l ’ amour et ne veut plus incarner de fausses héroïnes , joue mal , qui plus est , devant les amis de Dorian , le charme se brise , l ’ ensorcellement se dissipe . Aux yeux de Dorian , c ’ est un crime impardonnable que vient de commettre Sibyl , en se dépouillant de sa magie . « Je voudrais ne vous avoir jamais vue ! Vous avez gâché le romanesque de ma vie ». En se soustrayant au jeu de l ’ illusion , Sibyl a tué les rêves de Dorian , et
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