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Rue des Beaux-Arts n ° 77- Octobre-Novembre- Décembre 2021
et , fermant les yeux , posa les doigts sur ses paupières , comme s ’ il cherchait à emprisonner dans son cerveau un rêve curieux dont il redoutait de s ’ éveiller . 1»
Cherchant à fixer dans son esprit l ’ image , il pressent le drame qui est sur le point de se produire , le changement imminent qu ’ il voudrait empêcher pour fixer à tout jamais les traits du jeune homme au moyen de ce monument érigé à sa beauté afin qu ’ elle demeure identique . C ’ est bien là un des pouvoirs de l ’ art que d ’ offrir un semblant d ’ éternité , de restituer quelque chose d ’ une présence perdue ou de donner l ’ occasion de réélaborer ses propres sensations pour en explorer la richesse dans des oeuvres différentes qui sont autant de mondes capables de suspendre le cours du temps .
On retrouve bien alors , mise en scène par le roman de Wilde , la philosophie de Pater , animée par une sorte d ’ inquiétude face au temps qui menace de faire disparaître les choses et les êtres , leur beauté et leur sensation , et en réponse , par une exaltation de l ’ expérience rendue plus viviante encore par l ’ intermédiaire de l ’ art . Lors de se première publication en 1873 , La Renaissance fit scandale en raison de l ’ hédonisme affiché de sa conclusion qui recommandait de jouir pleinement de l ’ existence par une quête inlassable de sensations nouvelles , qu ’ elles nous soient offertes par la nature ou par l ’ art . Loin d ’ être une simple invitation à mener une vie avide de plaisirs , Pater inscrivait un tel projet dans l ’ horizon de la mort et d ’ une finitude humaine considérée dans toute sa gravité :
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O . Wilde , Le Portrait de Dorian Gray , ibid ., p . 350 .
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