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Rue des Beaux-Arts n ° 77- Octobre-Novembre- Décembre 2021
Or , le peintre se refuse à le lui donner par crainte de l ’ influence néfaste que pourrait avoir le dandy sur ce jeune homme . C ’ est donc sans le vouloir qu ’ il révèlera son nom au cours de la conversation et il le regrettera immédiatement : « Je n ’ avais pas l ’ intention de vous le donner . […] Lorsque j ’ aime quelqu ’ un intensément , je ne dis jamais son nom à personne . Ce serait comme en céder une partie . De plus en plus j ’ aime le secret . C ’ est , je crois , la seule chose qui puisse nous rendre la vie mystérieuse ou merveilleuse . La chose la plus banale devient délicieuse dès l ’ instant qu ’ on la dissimule . 1 »
Ainsi , Basil insiste sur ce pouvoir d ’ appropriation ou d ’ altération des choses qui consiste dans le fait de les nommer . En effet , révéler le nom de Dorian permet à un autre que lui de désigner l ’ objet de son désir et par là le conduit à une situation d ’ aliénation , comme s ’ il se trouvait dépossédé de cet objet . Par ce nom qui lui donne une existence publique , Dorian échappe à la dimension privée où il est préservé du regard des autres .
De la même façon , Dorian Gray ne sera nommé par Sybil Vane que du nom de Prince charmant . Ce pseudonyme signifie la dissimulation ou l ’ absence d ’ identité et suggère qu ’ elle relève d ’ une forme de projection ou de fantasme , lié ici à l ’ imaginaire du conte de fée ou à une idéalisation de l ’ amour .
En effet , dans la relation qu ’ il entretient avec Sybil Vane , Dorian Gray ne donne jamais son nom à la jeune fille , qui se contente de le nommer Prince charmant . Ainsi , lorsque celle-ci parle de sa relation
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Idem , p . 352
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