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Rue des Beaux-Arts n ° 76- Juillet-Août-Septembre 2021
des oiseaux en vol étaient projetées sur les hauts rideaux de tussor tirés devant la large fenêtre , produisant une sorte de fugitif effet japonais , ce qui lui évoquait ces peintres de Tokyo aux visages de jade pâle , et dont l ' art , par essence immobile , tendait à figurer l ' impression de vitesse et de mouvement "
Le jardin où nous conduit Yukio Mishima dans les derniers paragraphes de La mer de la Fertilité est celui de l ' abbesse Sakoto . Là , après une longue et épuisante excursion dans la forêt qui l ' a mené jusqu ' au temple pour retrouver une dernière fois Sakoto , retirée du monde depuis des décennies et devenue abbesse , Shigekuni Honda , vieilli et très malade , découvre ce jardin qui lui aussi déborde de vie , mais d ' une vie assourdie sous le haut soleil de midi . Sans enchantement ni promesse , ce jardin est l ' espace ou les personnages qui peuplent la mémoire de Honda , et qui n ' ont peutêtre jamais existé , se dissolvent dans la puissante vibration du jour . Il est le plein été , le lieu ou imaginaire et mémoire se confondent et où les pensées se dénouent sans laisser de trace tandis qu ' audessus de l ' étagement des nuages , le ciel s ' ouvre sur le Vide du Zen . Ici rien ne commence et rien ne finit .
" Dans le bosquet , au-delà de la pelouse , les érables dominaient . Une porte en roseaux donnait sur les hauteurs . Quelques-uns des érables étaient rouges , en plein été , jetant des flammes parmi la verdure . Des pose-pieds s ' égaillaient au hasard sur la pelouse et , parmi des œillets sauvages , fleurissaient timidement . À gauche , dans un coin , il y avait un puits avec son tourniquet . Un tabouret émaillé sur la pelouse semblait si chaud au soleil qu ' il aurait brûlé à coup sûr quiconque
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