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Rue des Beaux-Arts n ° 76- Juillet-Août-Septembre 2021
Une ultime version de Salomé , telle qu ' elle aurait été envisagée , impliquerait une forme de réécriture , inscrite dans cette évolution très radicale . Dans le texte d ' origine , la lune est un des personnages les plus importants , et ce n ’ est pas par seule malice que Beardsley y a stylisé le visage de Wilde . Il est l ’ auteur et la lune , à son image , est omniprésente . En substituant le visage de l ' Empereur à celui de Wilde , Mishima aurait opère une révolution intime et politique .
A la fin de sa vie , Mishima pratiquait le culte de l ’ Empereur . Pas simplement celui de l ’ empereur Hiro-Hito , mais celui de l ’ Empereur Eternel qui se confond avec le Japon , le descendant du Soleil et de la Lune . Un être suprême auquel nul ne pouvait , ni ne devait échapper . Même dans une relation amoureuse , les deux amants formaient , soutenait-il lors de débats universitaires , un triangle puisqu ’ ils ne pouvaient s ’ aimer qu ’ au regard de L ’ Empereur .
L ' idée est parfois avancée que Mishima ait voulu incarner Iokanaan et Salomé dans sa mort programmée avec Morita Masakatsu , mais cela semble très peu crédible . Le seppuku est trop profondément signifiant dans la spiritualité japonaise pour imaginer un tel détournement de la part de Mishima et de Morita . Plus sûrement , on peut voir dans cette ultime création la volonté d ' ajouter une dimension littéraire et poétique à un acte guerrier . En cela , Mishima aurait jusqu ' au bout mêlé la pure tradition japonaise avec son imaginaire .
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