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Rue des Beaux-Arts n ° 76- Juillet-Août-Septembre 2021
corps avec le mystère du souffle qui les a animés . Une manière facilement dégradante de prendre possession , par la pitié ou le dégoût , de ce qui n ' est déjà plus là .
Le suicide de Mishima , grandiose ou absurde selon la manière dont on s ' arroge le droit de le considérer , est une œuvre de volonté . Elle s ' impose sur la brutalité indéchiffrée de la vie matérielle , mais elle n ' est pas du domaine de l ’ Art . Surtout pas si l ' on prend le point de vue wildien .
Pour Wilde , l ’ Art ne peut se réduire , ni se plier à la réalité , il est le medium que l ' artiste utilise pour se réaliser . La création artistique permet d ' ordonner le chaos de la vie , selon son tempérament et sa sensibilité , mais elle ne se confond pas avec la réalité . De là vient la médiocre interprétation qui assène que Wilde ait vécu la vie de Dorian Gray ou , plus inepte encore , l ' assertion qui assimile la complexité du personnage de Dorian avec la banalité faite d ' enthousiasme , d ' égoïsme et d ' insécurité du jeune Lord Alfred Douglas .
Rien n ’ est moins wildien que de rabaisser l ’ Art et la Littérature à la vie matérielle . La vie imite l ' Art , c ' est même son acception la plus élevée , mais la recréation du monde est supérieure à son modelé . Les confondre révèle le contraire d ' une vision d ' artiste .
Il est certes impossible de préjuger de ce que Wide eût pensé ou dit de la trajectoire de Mishima . Mais à qui est familier de son œuvre et de sa correspondance , il est permis de penser qu ' il eut été plus sensible au suicide d ' Isao par
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