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Rue des Beaux-Arts n ° 76- Juillet-Août-Septembre 2021
Mishima est entré dans la période la plus militante de sa vie et , même s ' il continue d ' écrire , il lui importe de subordonner l ' écriture à son engagement . Sa voie est désormais celle de la bushidō , 武⼠道 , la voie du combattant .
Le ton du De Profundis lui apparait comme le contraire de ce qui constitue l ' armature de sa vie . Ce n ' est pas tant comme écrivain que Wilde le déçoit , mais comme guerrier et , pour pallier à sa désillusion , il écrit un essai où exprimer sa suprême désapprobation
-Wilde n ’ était pas un bon acteur tragique . Je pense souvent qu ’ aux prises avec une douleur sans bornes , il ne savait pas se tenir- .
Il n ' était pas de ceux qui se conforment au code des samouraïs , le Hakaguré Kikigaki - 葉 隠聞書 -, qui fait l ' apologie de l ' honneur et du sacrifice . Ce texte aux origines anciennes et nébuleuses , attribué à Jōchō Yamamoto et redécouvert au début du XXème siècle , était tenu , dès les années 1950 , comme largement responsable de l ' endoctrinement militaire des esprits qui avait précipité le Japon dans le désastre de la Seconde Guerre Mondiale .
Aussi , quand Mishima déclarait que le Hakaguré était " le seul et unique livre " avant d ' ajouter qu ' il l ' avait constamment sur sa table de travail depuis vingt ans , il revendiquait une éthique personnelle et politique . Il en publiera d ' ailleurs une édition commentée en 1967 . Confronter Oscar Wilde à Jōchō Yamamoto pouvait paraitre insensé du simple fait de l ' opacité réciproque de leurs univers . Mais Mishima refusait de plier devant ce paradoxe . Si le Hakaguré s ' avérait être le
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