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Rue des Beaux-Arts n ° 74 – Janvier / Février / Mars 2021
ou de la hideur probable d ’ une œuvre d ’ art dont la gloire devra , bon gré , mal gré , s ’ en compléter , à moins qu ’ elle n ’ en soit absolument anéantie . [ ...] Imaginez , dans quarante-deux ans , quand nous serons , beaucoup , poussière sur tant de poussière , une jeune fille , la fille de la fille de Lord Alfred Douglas , la fille du fils d ’ Oscar Wilde , au seuil d ’ une chambre toute blanche , d ’ un temple nuptial où on aura versé , parmi les roses et les lys , les anneaux , blancs aussi , du vieux serpent , les tronçons de l ’ hydre qui essayeront de se rejoindre , de reformer le fameux tout sous les yeux candidement effarés de la très ignorante , de la très innocente ! Que l ’ égoïsme effroyable de Lord Douglas ne résiste pas à cette double perspective de son cauchemar , je le comprends ... et il faut l ’ en absoudre . La race ? Je ne plaide pas pour une race , noble ou non , je pense , simplement , à toute la race humaine , une et indivisible devant le malheur . [...] Remarquez que le mérite littéraire d ’ Oscar Wilde , qui était fils d ’ un dentiste ( sic ! 1), ne peut être en rien diminué par sa naissance , ni même par sa manie de vouloir paraître ce qu ’ il n ’ était pas . Mais il fut justement pris à partie par un monde dont il avait été l ’ idole , qui le tolérait , sans l ’ admettre , et je n ’ en veux pour preuve que ce mot d ’ une grande dame anglaise à qui l ’ on disait : « Oscar Wilde était cependant la coqueluche de votre milieu !» et qui répondit si drôlement , en français : « Je croyais mieux la fluxion de poitrine ». À mon humble avis , une naissance plus ou moins illustre est une calamité , car elle oblige , de par la tradition , à des attitudes élégantes qui scandalisent les foules et paralysent toujours l ’ individu en demeurant la victime s ’ il n ’ a pas la fortune nécessaire à son isolement .
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Ajouté par la rédactrice .
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