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Rue des Beaux-Arts n ° 74 – Janvier / Février / Mars 2021
aussi intellectuelle . Comme Mrs Erlynne , il est noir et blanc , et on ne sait trop quelle couleur l ’ emporte . Après tout , n ’ a-t-il pas cette sublime réplique : « Nous sommes tous dans le caniveau , mais certains d ’ entre nous regardent les étoiles » ? Les pieds dans le caniveau , Lord Darlington est certainement capable de lever les yeux vers les étoiles et d ’ y apercevoir l ’ infini .
Le dernier des dandys wildiens est le plus connu , et sans doute , le plus fort , le plus dangereux , le mieux campé psychologiquement . Dans « Le Portrait de Dorian Gray », c ’ est Lord Henry Wotton ( Lord Harry ) qui mène le jeu . Chez lui , pas beaucoup d ’ ambiguïté : il est là pour corrompre et pour dominer la partie . Basil , Dorian , ne sont que des pions entre ses mains . Il les manipule à son gré . Riche , puissant , suprêmement intelligent , d ’ un esprit corrosif qui fait mouche , ses traits d ’ humour sont acérés comme des poignards et il ne fait grâce à personne . C ’ est un esthète sans scrupules qui se laisse gouverner par ses seuls désirs . Il est le mauvais ange de Dorian , mais aussi son mentor , son maître à penser . Un aristocrate tentateur qui promet des plaisirs étourdissants jusqu ’ au vertige . Jusqu ’ à la mort , en définitive : celle de Dorian , qui a cru pouvoir préserver à jamais sa beauté et sa jeunesse en vendant son âme au diable . Lord Henry Wotton est-il le diable ? Plutôt un esprit fort , qui vit pour le plaisir en se riant de la morale et de Dieu , comme Dom Juan . Il en a aussi la superbe et l ’ audace . Sa seule faiblesse est peut-être Dorian . Il est son jouet dans une certaine mesure , mais s ’ il devait se perdre , ce serait sans doute à travers lui . Car Lord Harry est fasciné par Dorian ( il possède de lui dixsept photographies ). L ’ aime-t-il , comme un amant possible , comme un fils spirituel qu ’ il a initié à sa philosophie de la vie , ou est-ce seulement
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