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Rue des Beaux-Arts n° 73 – Octobre/Novembre/Décembre 2020 même, de développer vos pulsions les plus inavouables, les plus profondes, en échappant à la réprobation, à l’anathème. C’est parfois aussi sous le masque que Wilde écrit. Son langage est codé, il faut savoir lire entre les lignes. À qui s’en tient au premier degré, « Dorian Gray » peut n’apparaître qu’un roman fantastique doublé d’un manifeste de l’art pour l’art. Mais en filigrane, se profile un autre dessin, qui est le secret de Wilde, le dessin dans le tapis. Sous le masque des mots, il se livre, il dit sa vérité et se révèle à qui sait déchiffrer l’énigme. En toute impunité ou presque, puisque le canevas indécent du sous-texte sera exposé contre lui au procès. Le masque est aussi un jeu, et ce peut être un jeu de mots, comme dans « The Importance of being Earnest ». Y-a-il une signification cachée dans le titre ? Certaines situations sont-elles à double sens ? Les noms des personnages sont-ils codés 1 ? Wilde s’est-il amusé à dissimuler des indices accessibles aux seuls initiés ? La question reste posée d’un Wilde en pleine gloire qui aurait mis un loup sur son visage pour truffer sa dernière pièce de symboles révélateurs, dans une ultime provocation, un irrépressible désir de vérité insolente. Faut-il évoquer ici « Teleny », ce roman érotique anonyme, dont Wilde est soupçonné d’être l’un des auteurs 2? Aucune preuve 1 Il y aurait un sous-texte gay dans la pièce, « Earnest » étant l’euphémisme victorien désignant les homosexuels, et « Cecily » faisant référence aux garçons prostitués. Pour ma part, je reste assez dubitative sur cette interprétation gendrée. 2 C’est Montgommery Hyde qui suggéra le premier que Wilde en serait un des auteurs principaux dans son ouvrage « A History of pornography, N.Y 1966. 6