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Rue des Beaux-Arts n° 73 – Octobre/Novembre/Décembre 2020 « Le poing avait tapé en plein dans la gorge de l'autre, un trou béant se creusait là. Enfin, elle était donc tuée! Immobile, saisi de son meurtre, Claude regardait cette poitrine ouverte sur le vide. Un immense chagrin lui venait de la blessure, par où le sang de son œuvre lui semblait couler. Plus tard, lorsque Lantier a repris son travail, Christine éclate : "Je te dirai ce qui m’étouffe, ce qui me tue, depuis que je te connais…Ah cette peinture, oui ! ta peinture, c’est elle l’assassin, qui a empoisonné ma vie. » Ce tableau est le chef-d'œuvre du titre du livre - tout comme le portrait de Gray par Hallward est son chef-d'œuvre, et comme la "Mélancolie" de Heldar est au cœur de l'intrigue de La Lumière. Heldar peint l'œuvre en devenant aveugle, se réconfortant avec du whisky, ce qui laisse de lui "un misérable aux traits tirés, hâve, ridé, qui avait les yeux hagards, la barbe longue. Une pâleur bleuâtre cerclait ses narines, ses épaules se voûtaient, ses yeux avaient un incessant clignotement de la paupière inférieure ». Il perd la vue peu après avoir achevé son tableau et son modèle, qui déteste Heldar, "versa la moitié d'une bouteille d'essence de térébenthine sur un chiffon et se mit à frotter rageusement la figure de la Mélancolie. Comme la peinture ne se brouillait pas assez vite, elle prit un couteau à palette et gratta la toile dans tous les sens, passant ensuite son chiffon humide sur chaque sillon tracé dans la couleur. En cinq minutes, le tableau, tout hachuré, ne fut plus qu'un informe mélange de tons innommables. » Chez Kipling, nous avons un tableau qui détruit son artiste, chez Wilde, nous avons un tableau qui détruit son modèle, et 56