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Rue des Beaux-Arts n° 73 – Octobre/Novembre/Décembre 2020 demande la tête d’Iokanaan. 1 » Ce principe d'autodéfinition de Salomé devient le pivot autour duquel s'engage l'ensemble des reprises et récupérations qui la composent. Récupération ultime, la scène du baiser associe la cécité au silence pour marquer, paradoxalement et ironiquement, le moment culminant de l’œuvre : « Les esclaves éteignent les flambeaux. Les étoiles disparaissent. Un grand nuage passe à travers la lune et la cache complètement. La scène devient tout à fait sombre 2. ». C’est alors que Salomé clôt le banquet d’Hérode en « dévorant » la bouche du prophète. Elle jouit du goût des lèvres de la tête décapitée dans une scène de nature primitive que Wilde préfère ne pas nous montrer 3. Deux autres repas emblématiques viennent se collationner par synecdoque au banquet d’Hérode pour amplifier le pouvoir de métamorphose du baiser : le Banquet de Platon, dont il a déjà été question, et la Cène. Dans le contexte du Banquet, Salomé et Iokanaan sont composés comme deux moitiés reconnues mais pas réunies, de ces êtres coupés en deux sur l’ordre de Zeus dont parle Aristophane dans son discours, et qui auraient pu restituer entière la complétude originelle. En effet, ces personnages, ainsi que l'a remarqué entre autres Catherine Clément, se ressemblent comme deux jumeaux 4. Nous avons constaté d'ailleurs, au début de cet 1 2 3 Salomé p. 71 . Salomé 83. Un nuage vient cacher la lune et la scène se passe ainsi dans le noir. 4 Catherine Clément, "Amour de Sainte", L'avant scène opéra (47-48) janvier-février 1983 Salomé, p. 123. 39