Rue des Beaux-Arts n° 73 – Octobre/Novembre/Décembre 2020
leurs boucliers) est encore de nature mythologique. Il n’y a qu’une
femme exécutée de cette façon dans la mythologie, celle qui a donné
son nom au Golgotha romain, la roche Tarpéienne, lieu d’exécution
de la peine capitale. Tarpeia était la fille du gardien de la citadelle du
Capitole qui, par amour pour le roi des Sabins, Titus Tatius, alors en
guerre contre les Romains, a trahi les siens en livrant la citadelle à
l'ennemi. Après la bataille, Titus Tatius a donné l'ordre à ses soldats
d'écraser la traîtresse sous leurs boucliers 1.
Doublé par l’impact de sa voix qui, on le sait, est sans commune
mesure dans le Nouveau Testament, le regard d’Iokanaan agit sur
notre perception de Salomé et opère une modification décisive sur
son corps de vestale. Les images et l’idéologie que ce regard et cette
voix véhiculent, à la fois sur scène et dans les théâtres mentaux des
spectateurs, redéfinissent le genre de Salomé si rapidement que l’on
peut parler de métamorphose. La thématique de métamorphose,
analysée par Bruno Bettelheim dans la Psychanalyse des contes des
fées, représente les changements profonds traversés par l’individu
lors du passage de l’enfance à l’âge adulte 2. C’est précisément ce
qu’il arrive à Salomé au cours de cette pièce (elle devient "femme" et
est aussitôt tuée) et c’est dans le contexte de cette même thématique
que Wilde utilise le baiser de la scène finale. Pour introduire
l’univers des contes des fées avant de le pervertir, Wilde fait d'abord
Hérode comparer Salomé à Blanche Neige : « Salomé, venez manger
du fruit avec moi. (…) Mordez un tout petit morceau de ce fruit et
ensuite je mangerai ce qui reste ». A l’opposé de Blanche-Neige qui a
1 Valerius Maximus, Factorum dictorumque memorabilium, 9, 6,1. Plutarque, Vies
parallèles, Romulus, 17, Properce, Elégies, IV.
2 Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, traduction de Théo Carlier, Robert
Laffont 1976, rééedition Pocket, 1999
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