n°73 | Page 36

Rue des Beaux-Arts n° 73 – Octobre/Novembre/Décembre 2020 leurs boucliers) est encore de nature mythologique. Il n’y a qu’une femme exécutée de cette façon dans la mythologie, celle qui a donné son nom au Golgotha romain, la roche Tarpéienne, lieu d’exécution de la peine capitale. Tarpeia était la fille du gardien de la citadelle du Capitole qui, par amour pour le roi des Sabins, Titus Tatius, alors en guerre contre les Romains, a trahi les siens en livrant la citadelle à l'ennemi. Après la bataille, Titus Tatius a donné l'ordre à ses soldats d'écraser la traîtresse sous leurs boucliers 1. Doublé par l’impact de sa voix qui, on le sait, est sans commune mesure dans le Nouveau Testament, le regard d’Iokanaan agit sur notre perception de Salomé et opère une modification décisive sur son corps de vestale. Les images et l’idéologie que ce regard et cette voix véhiculent, à la fois sur scène et dans les théâtres mentaux des spectateurs, redéfinissent le genre de Salomé si rapidement que l’on peut parler de métamorphose. La thématique de métamorphose, analysée par Bruno Bettelheim dans la Psychanalyse des contes des fées, représente les changements profonds traversés par l’individu lors du passage de l’enfance à l’âge adulte 2. C’est précisément ce qu’il arrive à Salomé au cours de cette pièce (elle devient "femme" et est aussitôt tuée) et c’est dans le contexte de cette même thématique que Wilde utilise le baiser de la scène finale. Pour introduire l’univers des contes des fées avant de le pervertir, Wilde fait d'abord Hérode comparer Salomé à Blanche Neige : « Salomé, venez manger du fruit avec moi. (…) Mordez un tout petit morceau de ce fruit et ensuite je mangerai ce qui reste ». A l’opposé de Blanche-Neige qui a 1 Valerius Maximus, Factorum dictorumque memorabilium, 9, 6,1. Plutarque, Vies parallèles, Romulus, 17, Properce, Elégies, IV. 2 Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, traduction de Théo Carlier, Robert Laffont 1976, rééedition Pocket, 1999 36