Rue des Beaux-Arts n° 73 – Octobre/Novembre/Décembre 2020
mourir", se rattache au Phédon, tout comme la vingt-quatrième lettre
de Sénèque qui, dans le passage où la citation est prise, commente le
refus de Socrate de fuir : « Socrate disserte. Des amis lui promettent
de le faire échapper. Il refuse et demeure afin d’ôter aux hommes la
crainte des deux mots les plus redoutés, mort et prison 1 ». Ce
commentaire, absent dans la pièce de Wilde, explique néanmoins la
peur suscitée chez le bourreau par le calme d’Iokanaan face à la
mort :
SALOMÉ Elle se penche sur la citerne et écoute : Il n'y a pas
de bruit. Je n'entends rien. Pourquoi ne crie-t-il pas, cet
homme ? Ah ! si quelqu'un cherchait à me tuer, je crierais, je
me débattrais, je ne voudrais pas souffrir... Ah ! quelque chose
est tombé par terre. C'était l'épée du bourreau. Il a peur, cet
esclave ! Il a laissé tomber son épée. Il n'ose pas le tuer. 2
Le même commentaire met implicitement en rapport Iokanaan et
Socrate. Ils ont la même attitude envers la mort 3. Cette comparaison
implicite nous montre également ce qui sépare le tétrarque du
prophète et ce qui lui fait peur en lui.
À dominante textuelle ou visuelle et manifestes par citation courte
ou étendue, les récupérations fonctionnent par synecdoque : la
1
Ibid. 15-16.
2
P. 79-80.
3 Notons aussi qu’elle sort des frontières de la pièce pour éclairer l’engagement
performatif de l’homme Wilde, écrivain-acteur engagé; car la situation décrite ici par
Sénèque n’est pas sans ressemblances à celle que Wilde a connue entre son premier et
second procès où ses amis avaient préparé sa fuite en France et il a refusé de fuir. Ce
qui constitue un exemple de théâtralisation consciente de la personne de Wilde avec un
engagement moral.
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