Rue des Beaux-Arts n° 73 – Octobre/Novembre/Décembre 2020
discours de Diotime. Selon les propos de cette dernière que Socrate
rapporte dans son discours, l’amour consiste pour deux êtres à
engendrer un troisième, différent de chacun d’eux mais qui
néanmoins les prolonge en constituant un substitut d’immortalité au
sein même de la vie terrestre. Lorsque la création d’un nouvel être
n’est pas possible, dans le cas d’amours homosexuelles notamment,
l’amour trouve sa justification transposée sur le plan spirituel en
cherchant à créer dans l’âme de l’autre des beaux discours et de
belles vertus 1. La variation de Wilde ici consiste à remplacer les
genres identiques des amours homosexuelles par des genres plus
complexes, et les « beaux discours » par de l’art. Néanmoins,
l’engendrement de beauté, sur le plan physique ou spirituel,
préoccupe Hérode qui, ne parvenant pas à son objectif, regarde sans
cesse la fille d’Hérodias tout en accusant cette dernière de stérilité :
« Jamais il n’a rien dit contre moi, le prophète sauf que j’ai eu tort de
prendre comme épouse l’épouse de mon frère. Peut-être à-t-il raison.
En effet, vous êtes stérile. 2 » Hérodias ne l’a pas aidé à prolonger son
existence en concrétisant sa vocation de créateur. Aussi Hérode
sent-il la menace de la mort qu’il trouve systématiquement sur son
chemin à chaque fois qu’il recherche la beauté. Par exemple, lorsqu’il
sort sur la terrasse à la recherche de Salomé, il tombe sur le cadavre
du capitaine de sa garde. "J’ai trop regardé la beauté, la mort » lui
fait dire Wilde dans une réplique du MS Austin disparue de la version
imprimée 3. Ainsi, le vingtième essai de Montaigne crée-t-il un
contraste entre le philosophe qui recherche la vérité et l’artiste qui
1
2
Platon, Le Banquet, 206, e, sq.
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3 "J’ai trop regardé la beauté, la mort » lui fait dire Wilde dans une réplique du MS
Austin disparue de la version imprimée. Références E. Vernadakis, Le Prétexte de
Salomé, op. cit. Annexe, p. 54.
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