Rue des Beaux-Arts n° 73 – Octobre/Novembre/Décembre 2020
Juxtaposées lorsqu’elles sont courtes, télescopées lorsqu’elles sont
plus développées, celles-ci proviennent de la Bible, de la patrologie,
d'un conte, d'un roman, d’un essai, d’une lettre philosophique, d’un
poème… pourvu qu'elles soient rédigées (ou traduites) en "français
authentique" et qu'elles sollicitent le sens critique du spectateur.
Prenons comme exemple de citation courte la première réplique
d’Iokanaan concernant Salomé :
Qui est cette femme qui me regarde ? Je ne veux pas qu'elle
me regarde. Pourquoi me regarde-t-elle avec ses yeux d'or
sous ses paupières dorées ? Je ne sais pas qui c'est. Je ne
veux pas le savoir. Dites-lui de s'en aller."
Ces propos mettent côte à côte le titre d’une nouvelle de Balzac, La
fille aux yeux d'or 1, et une expression de Gautier décrivant l'héroïne
éponyme de Mademoiselle de Maupin pourvue, en effet, de "paupières
dorées 2". Déplacées de leur milieu narratif dans un dialogue
dramatique, les expressions juxtaposées sont aussi des images
transposées dans le contexte tridimensionnel de la scène. On passe
d’un système sémiotique à un autre, de la linéarité discursive d’un
texte à la plasticité colorée d’un volume que l’on imagine (ou que l’on
voit) évoluer sur les planches. Si bien que les héroïnes de Balzac et
de Gautier se trouvent "comprimées" dans la structure "physique" de
l’héroïne de Wilde, en laissant deviner leur existence à Iokanaan
l’une par ses yeux, l’autre par ses paupières. Le prophète, dont la
fonction est de reconnaître la vérité des choses, discerne en Salomé
1
2
La comédie humaine, vol. 9, Histoire des treize, Paris: Furne, 1834.
(1835-6) Paris : Lemerre, 1891, t.1, p.10 et ailleurs.
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