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Rue des Beaux-Arts n° 73 – Octobre/Novembre/Décembre 2020 trentaine d'années plus tard, Mario Praz soutient le même propos et, non sans un certain agacement, va plus loin. Selon Praz, Wilde aurait saisi la valeur emblématique de femme fatale 1 revêtue par le personnage de Salomé à la fin du XIXe siècle. Sa Salomé fonctionne ainsi comme une "pièce-catalogue" où se trouvent répertoriés les traits de toutes les figures féminines de la fin de siècle (Judith, Dalila, Ève et surtout Salomé) qui illustrent la thématique de la femme fatale. La synthèse des caractéristiques de cette thématique (alors à la mode) expliquerait la résistance de la Salomé de Wilde à l'épreuve du temps, voire sa relative popularité 2 : elle serait représentative de toute une époque. "Les Salomé de Flaubert, de Moreau, de Laforgue et de Mallarmé ne sont connues que par les lettrés et les raffinés, mais la Salomé de ce cabotin de génie que fut Wilde, tout le monde la connaît!" conclut Praz 3. Depuis l'étude de Praz, la Salomé de Wilde est systématiquement abordée en figure emblématique de la femme fatale 4. Cependant, du fait que ses modèles sont à présent méconnus ou effacés, le discours autour de celle-ci s'est vu modifié. Personne ne lui reproche ses 1 Ibid. p. 219 et passim. 2 Entre 1900 et 1920 Salomé avait déjà été traduite en toutes les langues de l’Europe (y compris le Yiddish), adaptée en opéra par Richard Strauss (en 1905), par Antoine Mariotte (en 1908) et tournée en film par Charles Bryant (en 1918). Voir la préface de Robert Ross à Oscar Wilde, Salomé, London: The Bodley Head, 1930, III. 3 Mario Praz, La Chair, la mort et le diable. Le romantisme noir (The Romantic Agony, 1930). Traduit de l'italien par Constance Thompson Pasquali. Paris, Editions Denoël, 1977, p. 260. 4 Consacrés à l'étude de la femme fatale, les ouvrages suivants comportent au moins un chapitre sur la Salomé de Wilde. Bram Dijkstra, Idols of Perversity, Fantasies of the Feminin Evil in Fin-de-Siècle Culture, Oxford et New-York: Oxford University Press, 1986, chapitre 11; trad. Josée Kamoon, Les doles de la perversité, Figures de la Femme Fatale dans la culture fin de siècle. Paris, Seuil, 1992. Mireille Dottin-Orsini, Cette femme qu’ils disent fatale. Paris : Grasset 1993, chapitre 6. Rebeca Stott, The Fabrication of the Late Victorian Femme Fatale – The Kiss of Death. London: McMillan, 1992, chapitre 11. 21