Rue des Beaux-Arts n° 73 – Octobre/Novembre/Décembre 2020
L’admiration que Salomé manifeste au début de la pièce pour la lune
fait d’elle une vestale. La virginité légendaire de la déesse-lune,
Séléné, est ici reprise comme aune identitaire qui permet à Salomé
de se définir par le biais d’un mini-scénario imaginé : « Elle est froide
et chaste, la lune… Je suis sûre qu’elle est vierge. Elle a la beauté
d’une vierge… Oui, elle est vierge. Elle ne s’est jamais donnée aux
hommes, comme les autres déesses 1 » Cette identité relative au genre
que Salomé élabore de manière théâtrale et par identification, est
radicalement modifiée à partir du moment où le prophète la perçoit
et commente son physique. Au risque de se répéter, Iokanaan
reconnaît d’emblée en elle la fille aux yeux d’or et aux paupières
dorées dont il a déjà été question. Ensuite, il voit en elle une fille
d’Ève : « Arrière, fille de Babylone, c’est par la femme que le mal est
entré dans le monde. 2 », lui dit-il en faisant allusion au péché
originel. Cependant il appelle aussi Salomé « fille de Babylone 3 ». Il
s’agit ici de la reprise d’une autre déesse, Ishtar, grande ennemie du
christianisme, dont on trouve trace dans l’Apocalypse 4. Déesse
babylonienne de fertilité, Ishtar, appelée aussi Inanna chez les
Sumériens, est descendue aux enfers à la recherche de Dumuzi, son
époux. Du moins c’est sous cette forme que l’on connaissait son
1
2
3
« Séléné » dans Pierre Grimal, Dictionnaire de la Mythologie, PUF, 1970, p. 418.
Salomé, 32
Salomé, p.30.
4 Le passage suivant de l’Apocalypse est identifié comme faisant référence à Ishtar : « Et
je vis une femme assise sur une bête écarlate, pleine de noms de blasphème, ayant sept
têtes (…) vêtue de pourpre et d'écarlate, et parée d'or, de pierres précieuses et de perles.
Elle tenait dans sa main une coupe d'or, remplie d'abominations et des impuretés de sa
prostitution. Sur son front était écrit un nom, un mystère: Babylone la grande, la mère
des impudiques et des abominations de la terre. l’Apocalypse 17 :3-5, et Barbara
Walker, The Woman’s Encyclopedia of Myths and Secrets, San Francisco Harper and
Row, 1983, 450-453 et Merlin Stone, Ancient Mirrors of Womanhood : Our Goddess and
Heroine Heritage, (2 vols) New York, New Sibylline, Books, 1979, 105-111.
34