Rue des Beaux-Arts n° 73 – Octobre/Novembre/Décembre 2020
Liban », ses lèvres à « une bande d’écarlate sur une tour d’ivoire 1 ».
Dans leur milieu d’origine, les images récupérées par Salomé sont
utilisées par un homme pour exalter la beauté de sa fiancée. En
passant de la poésie à la scène, les images appellent à une inversion
du masculin et du féminin qui vise le même objectif que les
récupérations chez Balzac et Gautier : agir sur la définition du genre
des deux personnages. La parole de Salomé est, elle aussi, chargée
d'un pouvoir performatif qui, toutefois, repose d'avantage sur le
descriptif. De même qu’Iokanaan reconnaît en Salomé un être
supérieur de par son androgynie, Salomé loue la beauté féminine
qu’elle reconnaît dans le corps masculin du prophète qui se révèle,
lui aussi, de sexualité ambigüe ou androgyne à ses yeux. Grâce au
déchiffrage des citations que la mêlée symboliste aurait très
probablement identifiées, les personnages explicitement opposés
s'avèrent ainsi être implicitement complémentaires et conscients de
leur complémentarité. De même, si Iokanaan se présente comme
lecteur de Balzac et de Gautier, Salomé se déclare « lectrice » du
Cantique et, toujours par le biais de la récupération, attire, elle
aussi, l’attention du spectateur sur le côté fabriqué de son
personnage.
La citation peut être plus développée qu’une simple formule. Elle
peut être, par exemple, une phrase qui, néanmoins, n’est jamais
citée en mot à mot. Wilde conserve systématiquement l’ossature de
l’original, les termes du vocabulaire et un écho de la structure
syntaxique d’origine ; puis, à la manière d’un musicien, il compose
des variations sur le même thème. Ainsi, même s’il finit souvent par
inverser le sens de la phrase reprise, celle-ci demeure néanmoins
1
Salomé 82-85 et Cantique des cantiques 2, 1-2 ; 5, 15 ; et 4, 3-4.
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